Le commentaire de @Sorryf m'avait vraiment donné envie de lire
La maison dans laquelle.
J'ai su dès les premières pages que je n'y serai pas indifférente. Ça s'est vite confirmé puisque j'ai été littéralement happée par la Maison et par ses habitants. J'ai fait tout mon possible pour faire durer la magie, m'efforçant de ne déguster que par petites touches (ce n'est pas facile : je me suis surprise plusieurs fois à avoir lu 100 pages d'un coup sans m'en apercevoir), mais voilà, je l'ai fini hier soir. Ce matin j'avais encore la tête pleine de contes, de surnoms, de couloirs, de forêts, des espoirs et des regrets des magnifiques personnages qui m'ont accompagnée pendant presque deux mois.
La maison dans laquelle restera indéniablement un livre marquant en ce qui me concerne. Je le conseillerai autant que possible mais je suis consciente que tout le monde ne rentrera pas dans la Maison aussi facilement que moi. Certains auront même envie de fuir. Car c'est une lecture qui demande un certain "lâcher prise".
"Car la maison exige une forme d'attachement mêlé d'inquiétude. Du mystère. Du respect et de la vénération. Elle accueille ou elle rejette, gratifie ou dépouille, inspire aussi bien des contes que des cauchemars, tue, fait vieillir, donne des ailes... C'est une divinité puissante et capricieuse, et s'il y a bien quelque chose qu'elle n'aime pas, c'est qu'on cherche à la simplifier avec des mots. Ce genre de comportement se paie toujours." (p707 version e-book)
Il ne faut pas y aller pour l'intrigue, ni pour avoir les clés d'une énigme, ni surtout pour comprendre. Il faut tout laisser à l'entrée (logique, réflexion) et accepter ce qu'on va y trouver : un monde à part, où les lois sont bien différentes du nôtre. Comme celles de
Peter Pan (celui de J.M Barry, pas celui de Disney !) ou de
Sa majesté des mouches, ces lois n'ont rien à voir avec la morale que nous connaissons : ce sont des lois d'enfants qui n'ont rien connu d'autre, parfois barbares, parfois sublimes d'humanité. Parfois terrestres et parfois magiques (mais quelle magie ?).
Parce que cet exercice (se dépouiller de ses repères) est extrêmement difficile, d'autant plus si on est adulte depuis longtemps sans doute, l'auteure nous accompagne à l'intérieur par les yeux de Fumeur qui, comme nous, ignore les règles de la Maison parce qu'il est presque adulte quand il y arrive. Il essaiera de les comprendre, de les rejeter ou les nier longtemps. Il essaiera aussi de se rapprocher des autres personnages qui le fascinent en se tenant à l'écart de leur folie.
Ils sont en effet fascinants, c'est peu de le dire : Sphinx, l'Aveugle, Bossu, Lord, Chacal, Vautour, le Macédonien... ceux qui ont grandi là, qui ont accepté ou même écrit les lois de la Maison. Ceux qui sont arrivés plus tard mais ont senti tout de suite leur appartenance à ces lieux. Ceux qui en connaissent tous les secrets ou s'efforcent de les pénétrer.
Petit à petit, des bribes d'histoire sont révélées. Par les voix des personnages, multiples, par les contes, par les rêves, par les peurs des adultes qui vivent là, des voiles sont levés un instant sur les mystères de la Maison. Mais au lieu de nous aider à démêler les fils, ces aperçus nous entraînent vers le fond, vers une échéance que tous redoutent et qui semble inexorable.
Bon, j'ai pas encore bien atterri à l'Extérieur, comme vous pouvez le voir, mais j'ai aussi une considération plus construite pour ce livre.
Il est admirablement écrit : à travers une chronologie mouvante, des narrations à la troisième et à la première personne, des changements de police... Même sur la forme, on ne peut ignorer qu'on est dans un labyrinthe. Et pourtant c'est toujours agréable à lire, évocateur et extrêmement poétique.
Autre réflexion : la Maison, est une maison pour enfants et adolescents handicapés. Les handicaps divers ne sont pas niés. Il y a les roulants, les irrationnels, Sphinx et ses prothèses, l'Aveugle, ceux dont le handicap ne se voit pas... Mais c'est évoqué pour des raisons pratiques, comme des réalités avec lesquelles ils doivent vivre, et **jamais** comme ce qui définit les personnages.
Une autre citation, pour finir :
"J'avais cinq ans quand j'ai atterri ici, commença-t-il. Et pour moi tout était simple. La Maison était celle d?Élan et les miracles, son oeuvre. Dès que j'en ai franchi le seuil, j'ai compris que je savais sur cet endroit plus de choses que je n'aurais dû, et qu'ici, j'étais différent. La Maison a étalé devant moi tous les possibles, elle a ouvert ses portes et ses chemins infinis. Même les plus petits des objets chantaient sa présence lorsque je m'approchais d'eux. Telle ne pouvait qu'être la Maison d?Élan. La nuit, je mangeais des morceaux de ses murs en croyant que je me rapprocherais de lui. Il était le dieu de ce lieu, le dieu de ses forêts, de son marais, de ses routes mystérieuses. Quand il me disait : "Le monde est immense, il ne connaît pas de limites, un jour tu comprendras...", que pouvaient m'inspirer ses paroles, sinon que nous parlions par allusions de quelque chose que nous étions les seuls à connaître ?" (p921 version ebook)
Un énoooooorme merci à @Sorryf pour cette trouvaille magnifique !
Pour ceux.elles qui ont lu, j'échangerai volontiers mes impressions. Sur les personnages par exemple :
Tout le long, mon personnage préféré a été Chacal Tabaqui : bizarrement, c'est celui que je trouvais le plus humain, avec ses envolées lyriques, son mysticisme affiché, sa personnalité fantasque mais malgré tout très tournée vers les autres. Je pensais que sa folie serait la plus facile à raisonner... En plus, je croyais que ce n'était pas un sauteur, ni un tombant. Et en fin de compte, c'était sans doute le moins "réel". J'avoue que sur ce plan, la fin m'a bluffée.
J'ai aussi beaucoup aimé le Macédonien, cette espèce d'ange aux pouvoirs trop lourds, qui vit avec sa culpabilité permanente et tente de l'effacer en se dévouant aux autres.
Sphinx, bien sûr, mais il reste inaccessible, alors que c'est le seul ou presque à s'être senti capable d'affronter l'Extérieur. Le seul sauteur en tout cas (quoi que j'ai un doute pour Roux).
L'Aveugle en revanche, je n'ai jamais pu m'y attachée, mais je pense que c'est voulu : il est trop "loin", trop mêlé à l'âme de la Maison. Un peu irrécupérable, quoi...
Idem pour Lord, d'ailleurs : il est arrivée tard dans la Maison, mais s'y est jeté tout entier, sans beaucoup d'état d'âme.
Je les ai quand même tous aimés : Vautour, Noiraud, Sirène et Rousse, Bossu...
Et vous ?