Bisous les plumes et bon jeu


Le chariot cahotait sur la route de Shagon quand le passage abrupt d'une ornière souleva mon séant du banc.
PISTACHE poussa un juron dans mon dos.
— Foutre de Dieu ! Évite les fosses, CHOCOLAT. Tu me tannes le cul. Et toi, FRAMBOISE, t'as rien à redire sur sa conduite ?
Je me tournai vers CHOCOLAT.
Le vieil homme fixait le chemin, un sourire à travers sa barbe drue. J'aimais ce visage bourru, taillé à vif par les années, qui conservaient les expressions des gens heureux malgré la rudesse du Rivage. Tout en CHOCOLAT me procurait une sensation de tendresse, comme une papillote de caramel qui, une fois effeuillée de son grossier papier, enveloppait le palais d'un vernis de sucre. Quant à PISTACHE, il avait la saveur d'une pastille à la sève de pin, celle aromatisée à la menthe poivrée. Une vraie claque en bouche qui ne laissait guère l'option de la demi-mesure : soit vous en raffoliez, soit vous les détestiez.
La surface, soudain sinistre, de l’eau noire nous fit face.
Elle sembla clapoter presque tranquillement contre le rivage, s’irisant à peine et ondulant à la surface, le temps distendu par cette chute infinie. Des feuilles mortes flottaient comme des radeaux échoués et vides de leurs passagers. Nous glissâmes lentement et la voiture sembla hésiter un instant avant de tomber à la verticale. Les phares jetant un halo doré dont le reflet sur la surface m’éblouit. Je crus rester suspendue dans les airs l’espace d’une seconde d’éternité.
L’eau brisa les vitres et s’engouffra dans l’habitacle par ma portière encore ouverte. Mes cheveux s’agitèrent en un nuage épais, obscurcissant ma vision. L’eau froide s’insinua partout et gorgea mes vêtements. Je secouai violemment la tête, une tentative inutile pour y voir plus clair.
J’avais peur. Peur que chacun des battements de mon cœur soit le dernier.
Elle marchait d’un pas vif, martelant le pavé de ses talons, pressée. La pauvre enfant devait sans doute se dépêcher de rentrer chez elle. Elle devait être en retard. Qui pouvait se douter qu’à une heure pareille une jeune fille de cet âge se baladerait encore dans les rues de Xxxx ? Ne savait-elle pas que le Mal se cache toujours dans les ténèbres ?
Oh oui, elle était d’une beauté féerique à nul autre pareil.
Pourtant, celui qui ne faisait pas attention n’aurait jamais su voir ce très léger détail qui dépassait à peine de sa longue cape couleur de nuit. Mais le monstre, devenu excellent chasseur, lui, savait comment voir ce genre de détail si bien caché. Bien sûr qu’il avait remarqué ces deux ailes diaphanes aux reflets colorés si propres aux fées des bas quartiers. Toujours belles malgré le temps qui passe, la pauvreté et la saleté de leur misérable situation. Toujours si élégantes et gracieuse malgré les métiers ingrats que leur offrait si gracieusement la Société des Sorcières dans un monde où les humains côtoyaient des êtres magiques puissants.
Oui, cette fille était parfaite. Petite fée perdue dans un monde qui n’était plus le sien, inconsciente du danger qui rôdait tout près.
Alors, doucement, le monstre se glissa hors de sa cachette. Il suivit la fée, discrètement, étudiant avec attention la créature magnifique dans l’obscurité de la nuit.
Ô pauvre créature si naïve et sans échappatoire… Elle ne savait pas encore qu’elle venait de se jeter tout droit dans la gueule du loup et que le monstre n’allait pas se priver de refermer sur elle, et sans vergogne, sa mâchoire mortelle.
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