La bêta-lecture est une étape incontournable pour beaucoup d’auteurs ou autrices. C’est souvent la manière de finaliser un roman, en le soumettant à un œil aiguisé capable de repérer les derniers défauts

. Vous en avez peut-être déjà demandé, ou vous comptez bien en demander une quand vous aurez mis le point final à votre fiction.
Mais en général, c’est un échange de service. Ce qui fait que
si vous voulez une bêta-lecture, il va falloir être bêta-lecteur ou bêta-lectrice.
Bon, ok, ce n’est pas si terrible : finalement, une BL c’est comme un gros commentaire, non ?
Eh bien, non, pas tout à fait. Commenter est certes une très bonne manière de se préparer à devenir bêta-lecteur/bêta-lectrice, mais la BL implique trois éléments importants qui la différencient du commentaire :
l’engagement, le dialogue avec l’auteur/autrice et la multiplicité des angles de vue.
1. Le pacte de sang
Je m’emballe un peu avec mon titre de paragraphe

(et encore, le forum refuse d'afficher les emojis avec du sang

)
N’empêche qu’à la différence du commentaire qui est (et doit rester) de votre propre initiative, la BL implique un engagement. Que vous la proposiez vous-même (ça arrive) ou que vous répondiez à une demande,
une fois que l’accord est passé, c’est une sorte de contrat moral.
Un conseil :
avant de vous engager, prenez le temps de lire un extrait (voire plusieurs). Parce que si vous vous apercevez que le style ou le sujet vous pose un gros problème (ça peut arriver, hein, les goûts et les couleurs...), vous risquez d’avoir du mal à lire et commenter de façon constructive la fiction entière. Si le texte vous ennuie ou vous irrite

, la BL risque de devenir une longue souffrance qui ne sera bénéfique ni pour vous, ni pour l’auteur ou l’autrice.
Ou bien, en prenant un aperçu du texte, vous vous apercevrez peut-être qu’il y a beaucoup de choses à signaler, et que même si vous relevez le défi, vous ne pourrez pas le faire dans le délai demandé

.
Ou encore vous vous rendrez compte que le texte est écrit en javanais dont vous ne parlez pas un mot

(sur PA ce serait étonnant, mais c’est un exemple fictif, hein, laissez-moi écrire n’importe quoi, s’il vous plaît).
Si vous vous engagez, c’est à la fois à
aller jusqu’au bout, à
respecter les délais sur lesquels vous et l’auteur/autrice vous vous êtes entendu.e.s, et aussi à
faire de votre mieux.
Et si quelque chose coince ?
Par exemple, vous avez un empêchement dû à un cas de force majeure qui vous oblige à renoncer complètement à effectuer la BL (votre ordinateur est allergique aux BL et efface systématiquement le fichier

).
Ou alors, un événement IRL vous a fait prendre du retard et vous ne pouvez pas respecter le délai convenu (vous avez été enlevé.e par des extra-terrestres qui vous ont gardé.e pendant 6 mois à bord de leur soucoupe

).
Ou encore vous vous apercevez que pour une raison ou une autre, vous n’apporterez rien à l’auteur/autrice parce que vos visions, vos styles, vos conceptions sont trop éloignés, vous ne comprenez pas, vous n’arrivez pas à mettre le doigt sur les problèmes (ex : le personnage principal est Eratosthène*

et vous êtes platiste

).
Bref, si ça ne se passe pas comme prévu,
avertissez l’auteur/autrice au plus vite pour qu’il ou elle puisse se retourner.
En général, il ou elle compte beaucoup sur votre BL, donc ne le/la laissez pas tomber, ne baclez pas vos retours, planifiez votre lecture pour être sûr.e de ne pas devoir tout lire et commenter en deux jours (ça se fait, mais c’est chaud et la qualité risque d’en pâtir).
2. Le dialogue sans fin
Etant donné le “travail” de longue haleine que peut représenter une BL pour le bêta-lecteur/la bêta-lectrice et l’importance qu’elle revêt pour l’auteur/autrice, autant se mettre d’accord sur l’attendu et autant lever tous les doutes et questionnements, jusqu’au bout.
On a suggéré plusieurs fois, pour les commentaires, de demander directement à l’auteur/autrice quel type de commentaire l’intéressait ou à quel(s) point(s) particulier(s) il ou elle souhaite que vous soyez vigilant.
Pour la BL, c’est obligatoire.
D’abord,
pour répondre à ses attentes et questionnements particuliers. La plume pour qui vous allez faire la BL peut avoir des demandes bien précises ou une liste de questions. Par exemple, elle manque peut-être de confiance

dans les motivations de tel ou tel personnage, dans un des arcs

, dans la crédibilité d’un dénouement… Si ça vous saute aux yeux, vous allez probablement en parler. Mais si vous ne voyez pas le problème, vous n’allez peut-être même pas aborder le sujet, et la plume restera avec son questionnement et ses doutes. Si vous êtes alerté.e, vous pourrez lui dire “pour moi, il n’y a aucun problème” et ça le/la tranquillisera.
Ensuite l’échange avec l’auteur/autrice sur ses attentes peut potentiellement
vous épargner du boulot. Il ou elle aura peut-être prévu de faire appel à un correcteur/une correctrice, ce qui vous dispensera de toutes les remarques orthographe/grammaire/typographie.
J’en profite pour attirer votre attention sur le fait qu’une BL n’est pas une correction. D’ailleurs, il y a bien deux topics distincts dans les avis de recherche. En tant que bêta-lecteur/bêta-lectrice vous pouvez avoir la gentillesse de souligner les problèmes d’orthographe, de grammaire ou de typographie que vous voyez, mais ce n’est en aucun cas obligatoire. L’auteur/l’autrice ne pourra exiger de vous une correction exhaustive (d’autant que la correction est une compétence très spécifique qui demande un œil particulièrement acéré et expert).
Discutez aussi des délais attendus, du format, de la méthode… Faites-lui part de votre expérience en matière de BL, avertissez-le ou la si vous êtes débutant (ça ne veut pas dire que vous ne serez pas hyper doué pour l’exercice), expliquez comment vous procédez habituellement. Si vous avez l’habitude de faire des suggestions (ce qui est différent de réécrire un texte, cf. Billet n°8 : Les interdits du commentaire), demandez si ça le/la heurte ou pas, etc...
Vous pouvez même aller jusqu’à faire un envoi

après avoir bêta-lu les trois premiers chapitres pour valider que ce que vous faites convient. Ou pourquoi pas prévoir des envois intermédiaires tous les n chapitres si la plume est très pressée de commencer ses corrections.
Une fois votre BL rendue, l’auteur/l’autrice va vous répondre (oui, en général ça se fait, comme pour les commentaires). Il ou elle répondra alors à des questions ou des remarques que vous aurez écrites dans vos retours. Ce qui va peut-être générer d’autres réflexions/ressentis/suggestions chez vous. Livrez-les aussi et renvoyez le document !
Allez jusqu’au bout.
L’auteur ou l’autrice vous fera peut-être également part dans sa réponse d’une idée qu’il ou elle a eue pour résoudre un problème que vous avez soulevé. Dites-lui ce que vous en pensez : souvenez-vous que vous êtes une référence par rapport à son texte : un des regards extérieurs qui le connaît le mieux.
C’est souvent dans ces échanges qu’on met au jour un point bloquant que personne n’avait vu avant, ou qu’on déclenche une solution ! Et s’il faut plusieurs aller-retours, ça fait partie du job

D’ailleurs, même si vous pensez qu’il n’y a plus rien à dire,
vérifiez auprès de votre interlocuteur que tout a bien été couvert pour lui aussi.
3. L’œil qui voit tout
Je sais, c’est n’importe quoi, mes titres, mais ça me fait plaisir...
Dans les précédents billets, nous vous avons parlé des différentes postures ou angles de vue

que vous pouvez choisir (ou non) d’adopter dans vos commentaires.
Sauf contrordre de l’auteur/l’autrice, dans votre BL, il est recommandé de les adopter tous, tour à tour. C’est peut-être, à mon sens, la principale difficulté de la BL :
savoir se démultiplier (ou démultiplier son cerveau ?), pour parcourir le texte en lecteur/lectrice, en relecteur/relectrice, voire en auteur/autrice lorsqu’il s’agit de proposer des solutions. Je vous renvoie aux billets précédents si vous avez besoin de vous rafraîchir la mémoire sur ce que chacun de ces rôles implique.
Et avec chacune de ces casquettes,
il faudra aussi essayer de changer de focale en rétrécissant ou en élargissant votre point de vue : niveau “détail du texte”

, niveau “scène ou chapitre”

, niveau “articulation des chapitres entre eux et développement de l’intrigue”

, niveau “ensemble de la fiction”

.
Enfin, pour chaque rôle et chaque focale,
pensez à signaler le positif comme les points d’amélioration.
Avec ça,
vous devriez quadriller efficacement le terrain, et ne rien laisser passer !
4. Ouais… mais concrètement ?
Ca vous paraît encore nébuleux ? Alors nous allons tenter de donner
une méthodologie plus explicite.
Notez bien que ce n’est qu’une suggestion : si votre méthode est différente et qu’elle a fait ses preuves, ne bouleversez pas vos habitudes !
1.
Vous tombez sur une demande de BL qui retient votre attention, et votre motivation se confirme après avoir parcouru un extrait du texte. Ou bien vous lisez un texte qui vous donne l’impression que vous pourriez apporter quelque chose de plus à l’auteur par une BL que par des commentaires.
2.
Contactez l’auteur ou l’autrice, échangez sur ses attentes, vos méthodes respectives, votre expérience, les délais et autres modalités, etc… Éventuellement, faites-vous un planning.
3. Vous attaquez le texte.
Au fil de votre lecture, vous signalez tout ce qui vous interpelle (je conseille d’utiliser la fonction commentaire des traitements de textes, ce qui implique de disposer d’un format éditable et non d’un PDF) :
- Vos questions, reformulations et doutes de lecteur/lectrice (ressentis) mais aussi de relecteur/relectrice (clarté, cohérence... )
- Ce que vous aimez
- Ce qui vous surprend
- Les problèmes de syntaxe/vocabulaire/grammaire/orthographe/répétitions (optionnel)
- ...
4.
A la fin de chaque chapitre, donnez votre ressenti sur ce qu’il contient et sur des questions plus techniques comme le déroulement et l’articulation des scènes, le rythme, la clarté etc…
5. Au bout des trois ou quatre premiers chapitres,
faites un envoi intermédiaire 
pour valider votre manière de faire (optionnel).
6. Excepté pour les tout premiers chapitres où il est difficile d’avoir du recul, après avoir posé vos remarques sur le contenu du chapitre,
élargissez votre focale et réfléchissez à la façon dont le chapitre s’inscrit dans l’avancement : est-ce qu’il fait bien avancer l’intrigue

? Est-ce qu’il donne les infos

que vous espérez depuis un moment ? Est-ce qu’il s’articule bien avec les précédents ?…
Bref, réfléchissez à l’architecture de l’histoire

.
S’il n’y a rien à dire, passez à la suite. Votre prise de recul ne sera pas perdue : elle vous servira au moment du commentaire global.
Si vous voyez un problème, évoquez-le dans votre commentaire, en gardant à l’esprit que la suite modifiera peut-être votre impression.
7. Vous arrivez à la fin de la fiction. Commentez le dernier chapitre, puis
élaborez votre commentaire global.
Comme pour toutes les autres focales, soyez lecteur/lectrice (ressentis) ET relecteur/relectrice (technique), soulevez les points positifs ET les points d’amélioration, et faites une synthèse de vos impressions sur l'œuvre dans son ensemble, en proposant éventuellement des solutions aux problèmes que vous soulevez.
Pour éviter des redites avec les commentaires précédents et vous aider à organiser votre réflexion

,
vous pouvez découper votre commentaire d’une façon qui ne suive pas la chronologie de la fiction.
Par exemple : 1) Le style, 2) l’univers, 3) les personnages, 4) les enjeux, 5) le déroulement de l’intrigue, 6) les grands thèmes abordés
Oui, avec un plan pareil, on arrive sans problème à plusieurs pages de commentaire global

… Mais l’auteur/autrice en a écrit 4 ou 500, alors finalement, c’est pas tant que ça
Et ce n’est évidemment qu’une suggestion.
8.
Envoyez à l’auteur/l’autrice et attendez sa réponse.
9.
Répondez à ses questions, approfondissez si besoin, jusqu’à ce qu’il ou elle vous confirme que tout est clair.
Tout ça est évidemment à modérer selon les modalités ou sujets convenus entre bêta-lecteur.trice et auteur.trice.
Tous les conseils des billets précédents sont valables dans le cadre des BL. Vous devez porter autant d’attention à la formulation, par exemple.
Il n’y a qu’une manière de maîtriser l’exercice de la BL : se lancer. Si vous doutez de vous, demandez des conseils ou des exemples à des bêta-lecteurs/bêta-lectrices plus expérimenté.e.s.
Bien souvent, on finit par avoir un ou une partenaire de BL attitré.e (ou plusieurs), ce qui peut aussi rendre la démarche plus facile.
Mais que ce soit pour une plume avec qui vous n’avez jamais échangé ou une autre que vous BLez (bêta-lisez) pour la cinquième fois, les retours et les remerciements sur l’aide que vous avez apportée sont toujours aussi gratifiants

. Rien que pour ça, ça vaut le coup de s’y mettre
* Ouais, je sais, c’est classe comme référence… pour de vrai, j’ai cherché sur wikipedia ;p