Dans ce billet, nous allons sortir du sujet stricto sensu des commentaires… pour mieux y revenir par la suite.
Dans le cadre de la formulation, il nous a paru bénéfique de nous autoriser cette petite digression à propos d’un outil appelé
communication non violente (CNV). D’abord parce que c’est probablement quelque chose qui peut servir à tout le monde dans de nombreuses circonstances de la vie (donc pourquoi se priver ?), et ensuite parce que nous pensons que c’est assez transposable à la formulation des commentaires.
Les principes de la CNV
La communication non violente est un outil de communication mis au point par un psychologue américain (Marshall B. Rosenberg)
visant à apaiser les situations relationnelles potentiellement conflictuelles. Au passage, elle permet une meilleure connaissance de soi-même, voire une transformation, grâce à l’introspection et à l’empathie.
J’ai bien dit “situations potentiellement conflictuelles”, hein ! Il ne s’agit pas d’utiliser ça tout le temps, sinon la vie risquerait un peu de manquer de spontanéité !
Si vous êtes dans le cas d’une interaction susceptible d’engendrer des frictions, la méthode consiste à relier vos sentiments à vos besoins pour en assumer la responsabilité sans la rejeter sur d’autres, puis de formuler une demande pour vous exprimer.
Le procédé est le suivant :
Étape 1- Observation objective de la situation :
que s’est-il passé ?
Étape 2- Sentiments :
qu’est-ce que je ressens ?
Étape 3- Besoins :
lesquels de mes besoins sont non satisfaits par la situation et ont provoqué ces sentiments ?
Étape 4- Demande :
quelle demande concrète et raisonnable est-ce que je peux formuler pour que mes besoins soient satisfaits ?
Pas de panique, ça sera plus clair avec un exemple :
Vous avez une petite faim
. Vous voulez entamer le paquet de vos biscuits préférés que vous avez acheté il y a deux jours. Quand vous ouvrez le placard, le paquet ne contient plus qu’un biscuit. Vous êtes deux à vivre dans l’appartement. (
Situation)
Vous ressentez de la colère, de la frustration
. (
Sentiments)
La colère est (probablement) due à votre besoin de respect, de justice, d’information. La frustration vient de la nécessité de changer vos plans et de votre faim
. (
Besoins)
Pour que vos besoins soient satisfaits, vous pourriez, par exemple, demander à votre colocataire de racheter un paquet quand il en finit un, ou de vous prévenir, ou de vous en laisser plus. Et à vous-même, vous pourriez demander d’accepter, pour cette fois, de combler votre faim en mangeant autre chose
. (
Demande)
La source des sentiments se trouve dans vos besoins. Or, votre colocataire n’est pas responsable de vos besoins. Il ne sait sans doute pas que l’absence des biscuits déclenchera colère et frustration, ni qu’elles seront dûes à l’insatisfaction de votre faim, de votre besoin de justice ou d’information.
Nommer vos sentiments et leur origine aide à trouver l’apaisement et une solution constructive.
Dans l’expression de ce processus (situation, sentiments, besoins, demande), il est important de respecter quelques points :
Recentrer la discussion sur soi en utilisant le “je” et non le “tu”. En effet, le “tu” est une attaque ou un jugement (ex : “Tu as mangé tous les gâteaux”), au contraire du “je” (ex : “Je suis déçu de ne plus avoir qu’un seul gâteau”). Le second n’est pas une attaque, il apaise le conflit et il a l’avantage d’être indiscutable puisqu’il vous appartient.
Attention aux fausses expressions apaisées : “J’ai l’impression que tu te fous de moi”, c’est toujours une attaque
Faire preuve d’empathie. Si votre interlocuteur est entré dans une situation de conflit avec vous, ce n’est pas pour vous nuire, c’est pour satisfaire ses propres besoins. La résolution sera possible en acceptant vos besoins et les siens, donc dans la recherche d’une solution gagnant-gagnant.
S’exprimer de manière claire et précise. En évitant les sous-entendus, les non-dits, l’ironie et les déclarations à demi-mots, il y a des chances pour que votre interlocuteur comprenne mieux ! De la même manière, n’hésitez pas à utiliser la communication verbale plus que non verbale afin d’éviter les interprétations.
Voilà pour les grandes lignes. Si le sujet vous intéresse, vous trouverez de très nombreuses ressources sur le web pour l’approfondir.
La CNV et les commentaires
Nous nous proposons de tenter l’exercice de la transposition au sujet qui nous concerne ici (les commentaires), tout en comptant sur votre indulgence car nous ne sommes ni psy, ni coachs, ni spécialistes du langage, mais simplement soucieuses de préserver ce que nous aimons sur PA
. S’il y a des experts ou expertes du sujet parmi vous, qu’ils ou elles n’hésitent pas à corriger ou à améliorer.
Evidemment, les commentaires ne sont pas une situation de conflit en tant que telle, puisqu’il est rare que la discussion s’envenime (dans l'ensemble, on sait se tenir). Néanmoins, nous savons tous qu’une remarque mal exprimée peut faire des dégâts sur celui ou celle qui la reçoit.
Il nous a donc paru intéressant de parler de cette méthode, à la fois comme
outil de formulation, mais également parce que le processus en quatre étapes
peut aider à analyser son ressenti et à en donner à l’auteur ou l’autrice
une expression plus claire.
Exemple :
Situation : Dans cette scène, l’héroïne X a frappé le personnage Y. C’est la première fois qu’elle commet un acte violent et même qu’elle a une réaction aussi extravertie.
Sentiments : 1) Je suis déçue
/en colère qu’elle cède à la violence, 2) Je ne suis pas convaincue par la cohérence de sa réaction par rapport à sa personnalité
.
Besoins : 1) Pour continuer à aimer X
, j’ai besoin qu’elle partage mes valeurs, 2) Pour continuer à apprécier ma lecture, j’ai besoin de cohérence et de lisibilité dans les personnages
.
Demande : 1) À moi-même : “attends la suite, elle te rassurera peut-être”, 2) À l'auteur : “J’ai trouvé que la réaction de X ne lui ressemblait pas et je n’ai pas compris son geste. Je me demande s’il ne faudrait pas ajouter une ou deux phrases qui expliquent pourquoi la situation a pu à ce point lui faire faire quelque chose que je ne l’aurais jamais imaginé faire.”
Analyser ses ressentis et ses besoins aide à voir si on est
sur une remarque de lecteur (points 1 dans l’exemple), donc subjective et peut-être totalement conforme aux souhaits de l’auteur/autrice ; ou
une remarque de relecteur (points 2 dans l’exemple) qui impliquerait donc peut-être une correction ou une amélioration si l’auteur/autrice y souscrit. Ce qui va donc aider à formuler sa demande.
D’autre part,
les commentaires sont toujours dans le domaine du spéculatif : on n’est jamais sûr de ce que l’auteur ou l'autrice a voulu exprimer. L’utilisation du “je”, du conditionnel, de formules comme “peut-être” et de formes interrogatives permettent de ne pas être dans le jugement ni l’attaque et de rester dans la suggestion.
Faites preuve d’empathie en restant conscient des besoins de l’auteur ou l’autrice : besoins de clarté dans l’expression de vos ressentis, d’arguments factuels, d’encouragements, de bienveillance… (et probablement pas besoin de jugements ou d’attaques).
Enfin, après avoir fait cet exercice d’analyse de ce que vous ressentez, il y a fort à parier que vous pourrez
rédiger clairement et précisément votre remarque.
Alors c’est vrai qu’il est parfois difficile de mettre le doigt sur ce qui provoque le ressenti (frustration, déception…). On sent que quelque chose nous dérange, sans pour autant comprendre de quoi ça vient. D’expérience, nous sommes convaincues qu’essayer d’exprimer son sentiment permet souvent de trouver l’origine. Si ce n’est pas le cas, ne vous mettez pas la tête à l’envers ! Faites tout de même part à l’auteur ou à l’autrice de votre impression en lui disant que vous avez un flou. Peut-être qu’il ou elle situera le problème parce que la question lui était déjà venue, ou peut-être que ça fera écho chez une autre plume qui lira votre commentaire et qui trouvera le nœud.
En bonus, appliquer cette démarche implique de prendre du recul, d’affûter son esprit d’analyse et
ça ne peut qu’être bénéfique sur sa pratique d’écrivain ! D’ailleurs, rien n’empêche de tenter le processus en quatre étapes sur ses propres textes quand on sent que quelque chose ne va pas sans parvenir à mettre le doigt dessus...
Avec tout ça, me direz-vous, il va falloir deux heures pour chaque commentaire…
A quoi je vous répondrai que ça s’applique surtout quand la remarque risque de toucher un point sensible ou structurant. En plus,
en pratiquant, ça devient de l’ordre du réflexe.
Et enfin, je pense qu’il y a beaucoup de plumes qui pratiquent la CNV dans leurs commentaires de manière plus ou moins conscientes.
Il n’y avait plus qu’à mettre un nom dessus !
N'hésitez pas à réagir dans le flood pour enrichir ce billet !
Et il faudrait vraiment que quelqu'un me désactive les smileys, non ?... Il est possible que j'en abuse un peu