Les sensations rajoutent du sens. C'est mettre le lecteur au piège, lui faire vivre tout un tas d?expériences dont il n?aura pas envie de sortir, qu?il voudra vivre encore.
*Troisième exercice : décrire un endroit où on mange (restaurant, cuisine particulière).*
Avec les contraintes suivantes : pas de descriptions visuelles, de la nourriture inhabituelle, un endroit où j?ai envie de manger, un endroit qui me donne des informations sur le monde qui m?entoure.
C'est ce conseil, et son exercice qui a suivi, qui m'ont marquée. J'ai adoré ce principe et je m'en amuse encore aujourd'hui, à lisser mes descriptions jusqu'à ce que les cinq sens soient présents, jusqu'à ce que le mot juste sonne à mes oreilles. C'est un peu ce que j'aime chez l'auteur Pierre Bottero, par exemple. C'est ce qui me touche, ce que j'essaye de reproduire en écrivant. Et c'est drôle, parce qu'en lisant mon texte à voix haute pendant cette Masterclass (ça nous arrivait à chaque fin d'exercice), les auteurs m'ont fait un compliment
Ma version :
>>>Sous ses doigts, les écailles râpeuses glissaient. Il éclata de rire et des bulles caressèrent la commissure de ses lèvres. À tâtons, il toucha la vase et entendit s?agiter des nageoires habiles. Un rayon chaud frappait son dos en perçant la surface. Il s?agrippa aux éclats vifs de son repas, le ramena tout contre lui et surgit face au ciel en inspirant une grande bouffée d?air. « Je l?ai ! cria-t-il à son compagnon de voyage. Tu es prêt ? » Depuis l?autre côté de la rive, une forte odeur de fumée lui parvenait déjà. Sa faim fut aussi brillante que sa fierté d?avoir capturé sa première proie. Réussi ! Il venait de réussir à prouver au monde sa nature de chasseur !
**Le soin du vocabulaire**
Nous continuons avec Jean-Claude Dunyach. Ce travail de vocabulaire, c'est essentiellement adapter ses métaphores au monde dans lequel on se trouve. Utiliser des expressions nouvelles, dire le monde, penser le monde, comprendre le monde à travers ce vocabulaire. Les notions d'endogène / exogène s'y retrouvent : appartient à la planète, extérieur à la planète. On est ailleurs, donc ça signifie quoi ? Par exemple au japon (toujours), un enfant s?approche des vitrines dans un musée et met de la buée sur les vitres. Une dame le suit patiemment avec un chiffon pour essuyer derrière. Il était normal pour l?enfant de s?approcher, les parents n?étaient pas loin, et il était normal que la dame vienne pour essuyer derrière lui et le suivre. Qu?est-ce qui est « normal » dans votre monde ? Coutumes, habitudes, comportements, les mots pour l?exprimer et le dire.
Créer le désir, créer l?envie à partir de ce dont le lecteur ne sait pas qu?il a envie. Par exemple le créateur de l?iphone est arrivé en disant "ah, ce serait bien qu?il existe un téléphone qui pourrait faire ça, et ça et ça." Puis il sort de sa poche le téléphone en question. Il a fait croire qu?il a révolutionné le monde avec ce téléphone et a créé l?envie chez les gens d?en avoir un alors que jusque-là tout le monde vivait sans.
Être en possession des questions. Se demander ce qu?on a écrit avec son inconscient.
Rajouter des couches. Par exemple sur une carte postale, au lieu de décrire simplement ce que vous avez fait pendant la journée. Rajoutez le goût de la glace, la sensation du sable, l?odeur marine, le bruit des vagues.
J'étais fascinée par ce niveau de détails, et la manière dont cela s'équilibrait si bien.
**Corriger son manuscrit**
Nous voilà arrivés à la partie de Lionel Davoust ! Et de tout ce qui vient après, une fois le premier jet achevé. La grande question de la publication et des corrections.
Lionel disait que « La créativité ne consiste pas à trouver les réponses mais à trouver les questions. » Il nous invitait à nous demander, "est-ce que j?ai soulevé les bonnes questions ?" Partir de ce que nous avons fait pour nous rapprocher le plus possible de notre idéal esthétique.
Le lecteur construit sa propre histoire. Laissez-le imaginer, remplir les blancs. En dire suffisamment et pas trop. Autant de « budgets d?attention » qu'il existe de lecteurs différents, c'est la notion moderne d'attention limitée. Il faut donc une promesse narrative accrochée au récit pour y répondre. Il faut respecter les attentes du lecteur.
**Conflit narratif**
Nous continuons avec la présentation de Lionel Davoust.
"Tu veux ou tu veux pas", c?est plus que mettre son personnage face à un ennemi, c?est vouloir (le personnage veut) et se confronter à divers antagonismes, des résistances (l'autre veut). Un protagoniste est quelqu?un d?intéressant, qui veut quelque chose d?important pour lui, et pour qui c'est compliqué de l'obtenir. « Le premier à jeter une insulte plutôt d?une pierre est fondateur de la civilisation. » Mettez des emmerdements à vos héros. Ne les ménagez pas. Réfléchissez ainsi : « Comment ça va merder ? » Il s'agit de construire la tension narrative.
Amener le lecteur à comprendre le personnage, pour susciter l?empathie.
**Première passe technique**
Pour les corrections, il faut être impitoyable, selon Lionel.
"Qu?est-ce que j?aime lire ?" C'est la question que nous devrions nous poser. Une lecture sur manuscrit, ce serait équivalent à une passe de corrections. Cela permet d'avoir un certain recul sur son projet, de sortir de son rôle d?auteur pour endosser celui d?éditeur et celui de lecteur. « Go back file » : noter lors de l?écriture dans un fichier à part les détails à changer plus tard.
Lionel a cité *Mes secrets d?écrivains*, d'Elizabeth George comme référence. Il a parlé de la technique du dispositif d?évitement du syndrome de la tête parlante : deux personnages A et B parlent, s?échangent des informations et c?est hyper mécanique. Le mieux serait d'éviter ça en leur donnant quelque chose de signifiant à faire pour donner de la *gravitas* à la scène, de la tension. Soigner la mise en scène pour saupoudrer le dialogue de conflit : par exemple pour un couple, placer le dialogue lorsqu?ils peignent la chambre de bébé. Montrer que c?est tendu entre eux par cet acte symbolique.
**Le sensorium (again, but different)**
Relecture du « sensorium » par Lionel : ne pas passer 4 pages sans donner une odeur, par exemple. Peaufiner la mécanique, chercher le mot juste, qui sert le mieux la scène. Les mots servent juste à faire naître dans l?esprit du lecteur ce qu?il va lire. Les mots permettent de toucher le hors-texte. Il faut les utiliser pour viser juste, créer les sentiments, sans que le lecteur s?en rende compte. Cela nécessite des ajustements fins à travers les connotations, le hors-texte de chaque mot, évoquer des choses très fines via ces idées, sensations, s'aider des impressions associatives aux mots.
**L?auteur dans la chaîne du livre**
Le droit d?auteur ce n?est pas protéger l??uvre, mais protéger la personne, selon Lionel. En France, les auteurs priment grâce à ce droit d?auteur. Dans la littérature adulte l?auteur touche 10 à 12% des ventes de son livre. En littérature jeunesse c?est moins, 6 à 10%. Toute la partie commerciale représente la moitié du prix de vente public d?un livre (diffuseur, distributeur, détaillant). Après c?est le fabricant, puis l?éditeur et l?Etat avec la TVA. L'auteur est comme un entrepreneur, comme un homme ou une femme d?affaires, qui traite et signe avec les partenaires économiques qui l?intéressent et qui lui donnent les avantages qu?il recherche. Sans l?auteur pas de livre. L?éditeur dépend aussi de l?auteur. L?auteur doit donc aussi savoir le descendre de son piédestal et le traiter comme un partenaire d?affaires et savoir négocier.
**Approcher les éditeurs**
Comment pitcher son livre ? Un pitch, c'est une accroche sans trop en dire, la plus courte possible, qui donne envie. Vous rentrez dans l?ascenseur, vous avez une minute et demie pour convaincre. Une erreur fréquente des jeunes auteurs dans l?imaginaire, c'est de commencer par : « Alors c?est dans un monde où... » Honnêtement, on s?en fout, ce qui est important c?est l?histoire et les personnages. Un personnage intéressant, où est son conflit, que doit-il faire ? Personnages, actions, enjeux. Le pitch doit se rattacher un maximum au conflit, à l?humain, aux personnages. On est là pour l?histoire avant d?être là pour le monde. On en vient au monde à travers l?histoire. Le fondamental d'une histoire, c'est l?histoire. Ne pas se concentrer sur les moyens mais sur les finalités.
Voilà, voilà !
J'espère que ce compte-rendu pourra vous aider, les plumes, et en attendant je vous souhaite une très bonne soirée. A bientôt !
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