Je viens de lire l'intégralité du topic, qui m'avait déjà fait de l’œil mais que j'avais momentanément laissé de côté, et je ne vous cache pas que ça turbine à fond dans ma tête... et dans mes tripes.
Je sors de la lecture de ce débat avec moult questionnements sur mon rôle, ma responsabilité et même ma légitimité en tant qu'auteure, alors même que j'ai toujours fait partie des chanceuses qui s'accordent volontiers le droit d'essayer d'écrire des histoires, sans prétention aucune, sans trop s'interroger sur leurs droits à le faire.
Or, une pression ÉNORME vient de s'abattre sur mes épaules quant à cette liberté, à la lecture de vos avis. Si je prends la somme de tout ce qui DOIT ou NE DOIT PAS être fait dans une fiction, honnêtement, j'arrête d'écrire. Les pièges sont tellement nombreux que ça devient un véritable casse-tête qui pourrait bien annihiler tout plaisir.
Je vois déjà venir les protestations quant à cette utilisation du verbe "devoir" alors je modère, mais il reste quand même qu'à la lecture de certains avis, je me suis dit que tous mes projets étaient à jeter. J'ai même éprouvé un sentiment de honte à n'avoir pas devancé les éventuelles blessures que j'aurais pu infliger malgré moi à certaines plumes qui auraient eu la gentillesse de me lire.
D'abord parce que je ne les aurais pas représentées, par exemple. J'avoue humblement faire partie des gens qui préfèrent renoncer quand ils ne se sentent pas légitimes à aborder un sujet, plutôt que l'aborder de travers. Mais apparemment, ça non plus ce n'est pas une "bonne" solution.
Ensuite parce que j'ai parfois tenté de sortir de ma zone de confort (j'ai un perso gay), en me faisant confiance pour ne pas faire d'impairs à son sujet. Là aussi, je découvre que j'ai probablement présumé de cette confiance et que je devrais demander leurs avis aux intéressés. Mais dans la vie, nos actions ne peuvent pas être conseillées par des sensitives readers, alors il faut bien se faire confiance, non ?
Et ensuite (ça ce n'était pas mentionné dans le débat, mais j'en ai fait récemment l'expérience) parce que même quand je croyais évoquer un sujet sur lequel je pouvais me sentir légitime, ça ne m'empêchait pas d'écrire des choses qui heurtaient. Je cite l'exemple pour concrétiser mon propos, en spoiler au cas où quelqu'un voudrait lire Les princes liés
L'un de mes personnages meurt. Or, il s'agit d'une femme qui s'est détachée des règles établies pour adopter les siennes propres, et quelqu'un m'a suggéré que je l'avais tuée pour la "punir". J'avoue que je n'avais pas vu l'effet boomerang. Parce qu'il se trouve que si j'en ai fait ce qu'elle est, c'était justement pour que sa mort (déjà prévue à l'origine de l'histoire) soit d'autant plus émouvante que c'était un personnage attachant. Aurais-je dû la rendre moins attachante et moins libre ? Soyons clairs : mon objectif était de faire pleurer dans les chaumières (parce que de mon côté, j'aime pleurer quand je lis), pas de punir qui que ce soit. Aujourd'hui, je me demande vraiment si j'ai le droit de la tuer !
Alors je ne nie absolument pas le mal-être que peuvent provoquer certains stéréotypes, ou certaines absences, dans les fictions. Je pense sincèrement que tou.te.s celles et ceux qui ont exprimé des raz-le-bol, des colères ou des ressentis sont complètement légitimes.
Je crois aussi nécessaire d'inciter à se poser la question qui figure plusieurs fois dans ce topic : "y a-t-il une vraie raison à ce que mon personnage soit comme ci ou comme ça, ou ai-je seulement reproduit par défaut ce que je vois le plus autour de moi ?" ou plus simplement "est-ce que je n'ai pas véhiculé malgré moi un stéréotype ?"
Bref, je crois de tout mon cœur à l'éducation et à la sensibilisation. Elle est nécessaire, et chacun doit y participer à sa mesure.
Mais attention aux jugements !
Peut-être que c'est ce qui a amené [mention]Fannie[/mention] à parler de "discours moralisateur" ? Il se trouve qu'en la lisant, j'étais d'accord avec plusieurs de ses remarques, notamment avec la difficulté de concilier à la fois l'inclusion et la juste représentation.
Mais encore une fois, à plusieurs reprises en lisant, je me suis dit "oh la la, tout est à jeter dans ce que j'ai écrit !", parce que si vos demandes sont légitimes, je pense qu'il est également important de garder en mémoire le fait que toutes les consciences ne sont pas éveillées de la même manière aux sujets évoqués ici. A commencer par la mienne.
J'ai 44 ans j'ai été élevée par une maman particulièrement sensibilisée aux droits des femmes (en particulier aux combats de son époque, évidemment). Pourtant, pendant les 10 ou 15 premières années de ma carrière, je n'ai même pas été heurtée par les blagues lourdaudes ou sexistes qui étaient monnaie courante dans mon univers professionnel, parce qu'elles faisaient malheureusement partie de la "normale". Je m'estimais déjà heureuse d'avoir accès à un poste occupé par seulement 20% de femmes dans ma société. Aujourd'hui, je n'hésite pas à remettre à sa place (poliment) quelqu'un qui les pratique. J'ai entendu des milliers d'insultes homophobes sans empoigner mon bâton parce que ça faisait partie du langage courant. Aujourd'hui, ça me donne envie de vomir et je le dis tout de suite à la personne qui vient de la proférer probablement "sans penser à mal".
A chaque époque et à chaque personne son combat.
La plupart des plumes sont plus jeunes que moi et à votre contact (particulièrement celui de ma coupine [mention]Tac[/mention] qui se pose moult fois plus de questions que moi), j'aiguise mon esprit critique et ma conscience quant à ces sujets. Après, je suis d'accord ou pas, mais au moins j'apprends à me questionner !
Mais je vous encourage à conseiller plutôt qu'à reprocher ou à juger.
Ici plus qu'ailleurs, nous devrions nous rappeler que derrière chaque livre, il y a un.e auteur.e, qu'il ou elle est humain.e, et qu'il a droit à l'erreur et à une chance de s'excuser, de s'améliorer ou de se rattraper. Soyez pédagogues puisque vous êtes en avance sur le sujet.
Deux petits points pour finir :
[mention]Flammy[/mention] je ne réponds pas à ce critère, pourtant sans me sentir concernée, je me demande si "les petites sont si mimi" ne serait pas un stéréotype un peu réducteur, ainsi que "la définition de la boulangère"

Désolée de te prendre pour cible mais j'ai trouvé que ça illustrait assez bien la façon dont certaines représentations sont ancrées et à quel point il est difficile de s'en débarrasser, même à l'occasion d'un débat comme celui-ci.
[mention]Eresia[/mention] de mon côté, je ne crois pas que tous les livres soient politiques. Mon ambition personnelle est d'écrire du divertissement, et je ne crois vraiment pas que le monde de qui que ce soit sera changé après la lecture de mon roman (j'espère qu'il sera un peu changé pendant la lecture, mais pas plus). Ça ne m'empêche pas de faire attention à ce que j'écris, mais je ne crois pas qu'il contienne de "message". Faut-il pour autant que j'arrête de l'écrire, si je n'ai pas cette conviction ? Et en tant que lectrice, il y a très peu de livres dont j'ai envie de dire qu'ils ont changé ma vision du monde. Et je prends pourtant énormément de plaisir à m'évader quelques heures. C'est d'ailleurs à peu près tout ce que je demande à un roman, et je pense que je ne suis pas la seule lectrice dans ce cas. Je ne suis ni une lectrice, ni une autrice "engagée". Or, en lisant ton message, j'ai eu la sensation que c'était condamnable. Ce n'est sans doute pas le cas, mais encore une fois, la manière de formuler une opinion change parfois complètement le message
Oups, je crois que j'ai été longue... merci de m'avoir lue jusqu'ici si vous avez tenu !