9.Tarot
— Patober ! Fais-moi confiance.
— Paëlla… D’habitude, j’ai confiance en toi mais, là…
— Mes cartes de tarot peuvent nous aider à trouver un coupable. J’en suis certaine.
— Un coupable sur les trois, tu veux dire ?
— Oui. Il y a trois coupables puisque tu as vu six pieds. Mais, si on attrape deux pieds, les quatre autres vont suivre sans trop tarder.
— Ce n’est pas l’Agent qui va leur faire cracher le morceau…
— Tu en veux à l’Agent parce qu’il a refusé de te recevoir, je me trompe ?
— Un peu…
— Dis-toi que si les cartes nous révèlent quelque chose, tu auras des informations à lui donner et une excuse pour le revoir.
— Tu sais tirer les cartes ? Vraiment ?
— Bien sûr que oui. Je tiens ce don de mon arrière-arrière-arrière-grand-mère.
— De l’arrière-grand-mère de ta grand-mère ?
— Je crois bien que oui.
— Alors, vas-y. J’imagine que cela ne coûte rien d’essayer.
— Euh… Patober ?
— Oui ?
— Je viens de tirer une carte qui…
— Qui ?
— Qui n’annonce rien de bon.
— Pourquoi ? Montre-moi.
— C’est une faucheuse avec un tatouage de kraken à la cheville gauche.
— C’est exactement celui que j’ai vu ce soir-là.
— Oui, mais…
— Mais quoi ?
— Cette carte… Elle… Elle existe pas ! Je l’ai jamais vue avant.
— Tu es sûre, Paëlla ?
— Certaine ! Cette carte est toute nouvelle. Ce jeu de tarots semble nous lire l’avenir.
— J’ai donc vu la faucheuse ce soir-là ?
— Je pense pas, Patober.
— Alors, quoi ?
— Sans doute que cette personne a un lien avec la mort. Un docteur, un croque-mort…
— Ah…
— Patober ! C’est une piste que nous pouvons explorer.
— Nous n’avons rien d’autre. On peut toujours essayer de ce côté-là.
Dans la maison de ma famille
La cheminée ne marche plus
Les fenêtres se tournent vers le nord
Les carreaux rétrécissent
Dans la maison de ma famille
Les fleurs fanent et les pommes pourrissent
Le papier peint se décolle des murs
Dans la maison de ma famille
Un froid noir monte depuis la cave
Dans la maison de ma famille
Plus personne ne passe la porte
J’ai beau tenter d’expliquer, ils ne comprennent pas, ils ne comprennent jamais. Aussi bien les médecins que mon conjoint. Aussi bien les valides que les malades chroniques. Lorsque je mets des mots sur ce que je vis, je vois dans leurs regards pitié, compassion, mais surtout beaucoup d’incrédulité. C’est douloureux. Et cela ne fait qu’amplifier le froid.
Car oui, mon problème, c’est que j’ai froid. Très froid. Toujours froid. Que l’été soit caniculaire ou pas. Que les couettes s’accumulent sur moi ou non. Car le froid que je ressens est intérieur. J’ai en moi un froid noir comme un puits sans fond. Noir comme du charbon éteint depuis la nuit des temps. C’est ce froid noir qui me glace de l’intérieur.
Je suis éteinte. Comme un corps sans âme pour le réchauffer.
UN FROID NOIR
Il fait nuit il fait froid
Des voix chuchotent dans le grenier
Il fait nuit il fait froid
Des pas furtifs dans le couloir
Il fait nuit il fait froid
J’entends du bruit dans le placard
Il fait nuit il fait froid
J’ai le bout du nez gelé
Il fait nuit il fait froid
Je crois que le chat a miaulé
Sous la couette, viens donc Minou me réchauffer
Et mettre fin à ce cauchemar
Minou ! minou minou minou
Hou !
Dans les rues, je progresse avec lenteur. Tout me paraît hostile. Mon corps est froid. Froid comme l’ombre. Un froid noir qui se diffuse dans mes veines pour ne plus jamais s’arrêter.
Il y a aussi cette faim. Si je me sentais pas si faible, je me jeterais sur le premier venu pour boire son sang.
Je chancelle. Une silhouette devant moi.
– Vas-tu enfin m’obéir, Bélim ?
Ai-je le choix ? Sinon le froid noir va me dévorer.
10.Le second visage
— Tout le monde a deux visages, Moussaka.
— Ah bon ?
— Patober, par exemple, il a un visage déprimé et un visage souriant. Tout dépend des moments…
— J’entends beaucoup parler de Patober, sœurette.
— Normal. C’est mon meilleur ami.
— Que serait Paëlla sans son Patober, hein ?
— C’est ce que tout le monde dit.
— Et donc, tout le monde a deux visages. Toi aussi ?
— Moi aussi, Moussaka. Moi aussi.
— Quels sont ces visages ?
— J’ai un visage déterminé et un visage inquiet, aussi. Inquiet à cause de la déprime de Patober.
— Pourquoi il déprime ?
— La faute à Rizotto. Il l’a traité pire que du purin.
— Il avait l’air gentil les quelques fois où je l’ai vu. Lui aussi a deux visages.
— Il avait l’air, en effet. Maintenant, Patober souffre. Il en parle pas mais un de ses visages souffre beaucoup.
— Paëlla ! Votre enquête ne lui change pas les idées ?
— Non.
— J’espère qu’il a coupé les ponts avec ce type ?
— Avec Rizotto ? Oui. Il a juré qu’il le reverrait plus jamais.
— Bien.
— D’après Patober, il serait parti loin. Très loin.
— Tant mieux si cet homme a quitté le pays ! Patober pourra ainsi guérir plus vite.
— Je suis très inquiète pour mon ami. Il parlait d’annihilation cardiaque, l’autre jour !
— Il ira bien, Paëlla. Tu es là pour lui. Il n’est pas tout seul. Si jamais, je suis là, moi aussi.
— C’est gentil de ta part.
— Je peux même casser les genoux de Rizotto, s’il se ramène à nouveau.
— Gentille et casseuse de genoux. J'aime ton second visage, Moussaka !
Son visage est fendu
par un rictus indescriptible :
deux profils distincts, dissemblables
se confondent puis le défigurent.
Son front creusé couvre deux miroirs
face à face, diamagnétiques, ennemis.
Son cœur est dans l’ombre, ses yeux y sont aussi.
La folie l’a gagné ! Mais l’avons-nous perdu ?
Sa voix ; ses paroles ; ses gestes
Son premier visage n’est plus.
Comment peut-on lui retirer
ce masque de douleur ?
Comment ?
11 octobre – Un froid noir
Dans une obscurité glaciale,
Maxence attend sans son futal.
Il n’avait pas songé
En allant s’y cacher
Qu’un congélo, pour un dodo, c’est pas royal.
Modifié en dernier par Ewen le 15 oct. 2023, 20:59, modifié 1 fois.
Le magasin se vantait d’avoir tous les produits. Pourtant, il ne trouvait pas ce qui l’intéressait vraiment, et, comble de l’horreur, il allait donc devoir demander à un vendeur. Une femme à l’air avenant, souriante et charmante, en uniforme de l’enseigne, venait vers lui. Quel cauchemar, elle était bavarde, il en était sûr.
— Que puis-je faire pour vous ?
— Je cherche un froid noir. Je n’ai trouvé qu’un froid bleu foncé.
— Notre froid corbeau de la nouvelle lune ne vous convient pas ?
— Non, trop bleu encore.
La panique commençait à le gagner.
— J’ai vraiment besoin de ce froid noir, vous n’auriez pas un concurrent à me recommander ?
La femme fut prise au dépourvue, mais se ressaisit bientôt.
— Euh, il y a bien encore la boutique de centre-ville mais leurs stocks sont faibles et un froid noir, vraiment noir, ce n’est pas très courant comme demande.
— Ah, vous croyez qu’ils en ont un ?
— Et sinon, vous avez pensez à le remplacer par un autre type ? Ou une combinaison ? J’ai un chaud blanc, si vous voulez, et un inverseur de propriété.
Il se figea. Quelle bonne idée !
— Je prends ça, merci !
Il courut vers la caisse et passa ses articles. Bientôt, il pourrait terminer son sort d’occultation, pour que plus personne ne puisse jamais le voir, et éviter ces interactions insupportables.
- OUVREZ-MOI !
La lourde porte renforcé de veinures de bronze sur le tronc lui répondit d'un son creux.
- Grrflll !
Telle la mélodie d'un murmure. N'y avait-il donc plus personne en ces lieux ? Le gardien était-il mort ?
Étouffée par la nuit noire qui l'englobait, elle commençait à s'inquiéter de finir là, à cailler son sang pour pas grand-chose. Devrait-elle employer les grands moyens ?
Tout à coup, une forme obscure voleta au dessus de sa tête et déposa délicatement quelque chose entre ses mains. À peine se retourna-t-elle qu'un hibou hulula au loin.
Elle regarda l'objet. C'était un flocon blanc. De la dixte. La plus dure des glaces au monde. Seule une penseuse des Glaces pouvait la transformer en une clé. Comme elle le faisait à l'instant. Alors, elle la tourna dans la serrure de bronze. Un bruit de cliquetis qui se tut. Elle ouvrit la porte à cet instant.
- Te voilà, bruit le dos pourpre d'un haut fauteuil
- Je sais. Cela fait trop longtemps que je ne suis pas venu ici.
- Il n'y a plus perchonne ici....
Elle s'approcha de l'assise et ce ne fut que le vide qu'elle vit dans cette pièce.
En y repensant, tout était dans l'ordre. Elle devait revenir ici juste après y avoir réchappé de peu. Juste quelques secondes en plus ou en moins et cela n'aurait pas marché. Cela avait été un coup du destin bien mené, pensa-t-elle en fixant l'horloge givrée, bleuie par le froid où le temps s'était arrêté. Tout ça, grâce à cet objet antédiluvien et à son gardien. Aide inestimable de l'héritière de l'ancien royaume de Grivres, Griesedt Hargreeves.
Un froid noir
Un corbeau noir sur un chat noir, lui-même juché sur un corbillard, ça donne le frisson. Mais lorsque ce corbillard est trainé par six chevaux noirs, suivi de marcheurs en noir brandissant de grandes faux, alors ça jette un froid noir et là, mieux vaut ne pas céder aux idées noires.
Ouvrez-moi !
- Ouvrez-moi cette foutue bouche !
Constance serrait les lèvres avec la force d’un étau. Faire confiance à un arracheur de dents pour extraire la racine du mal n’était pas une option envisageable. Pas une option tout court. Et puis il fallait bien avouer qu’elle avait une dent contre cet homme, et pas la meilleure. Ouvrir sa bouche libérerait aussitôt la dent qui se jetterait aussitôt sur lui. Et là, Constance ne pourrait plus rien garantir !