"Salut à vous les avortons, les prématurés et les attardés. Salut, les laissés-pour-compte, les cabossés et ceux qui n'ont pas réussi à s'envoler ! Salut à vous, enfants-chiendent ! (p416)
C'est ce qui est écrit devant la porte de la maison.

(crédit photo : moua ! Comme je fume pas j'ai dû ramasser des mégots par terre dans la rue. Il m'aura tout fait faire ce bouquin)
J'ai déjà parlé un peu de la maison dans laquelle de Mariam Petrosyan dans « vos lectures du moment », mais je pense qu'il mérite son propre topic, parce que c'est un texte hors du commun. Je suis tombée dessus par hasard, j'ai juste été attirée par la couverture et le titre. Il était sous blister donc impossible de lire quelques phrases pour se faire une idée. Je suis pourtant repartie avec en me traitant de pigeon. Maintenant, quand j'imagine à côté de quel chef d'oeuvre j'aurais pu passer, ça me fout la trouille.
Quelque chose qui soit à la fois un piège, une maison et l'univers (p452)
Je vous préviens je vais bourrer le topic d'images et de citations (j'espère que j'ai le droit

Mais j'aimerais tellement vous donner envie de le lire ! J'ai pas autant aimé un bouquin depuis mon adolescence, une part irrationnelle de moi a même envie de dire depuis toujours (Et pourtant j'ai lu vlà les classiques). Alors je vais essayer de vous le présenter avec ma pauvre écriture terrestre !

dessin de @Cerise
La Maison est un pensionnat pour enfants handicapés. A l'intérieur, encadrés de loin par une poignée d'adultes, des filles et des garçons se fabriquent leur univers à eux, un monde qui a sa logique propre.
Ça commence avec Fumeur, qui s'attire des ennuis à cause de sa paire de baskets.
Ça commence avec Sauterelle, qui entre dans la maison pour la première fois.
Ça commence de plein de façons.
Ça finit d'une seule : à 18 ans, les enfants devront quitter le pensionnat, et retourner dans le monde extérieur, fade et moche, effrayant et pas fait pour eux.
La maison dans laquelle fait 950 pages, chacune qu'on tourne est un compte a rebours avant la sortie. La peur de ces ados de devoir quitter leur Maison, de devoir devenir adultes. La peur du lecteur de devoir aussi quitter la Maison au bout du livre, revenir au monde réel, merde, c'est raide.
« J'ai dix-huit ans, déclara-t-il. Mon heure est venue ».
En disant cela, il abîma encore quelque chose de sacré (p506)
Les personnages
chez nous, les habitants n'étaient pas seuls, chacun charriait tout un monde avec lui. Bossu, par exemple, où qu'il soit, était toujours entouré d'arbres ; le Macédonien, d'un choeur en train d'entonner Lacrimosa. Si Lord passait ses journées dans un château aux murs poussiéreux, dont il n'abaissait que rarement le pont-levis, Chacal, lui, était susceptible à tout instant de se démultiplier en une foule de créatures... Fort heureusement, Larry s'abstenait de ramener les couloirs ici, et il valait mieux aussi que Gros Lard cantonne sa sorcellerie aux quatre petites barrières de son parc. (p207)

dessin de @Gueule-de-Loup
Les persos sont hyper attachants. On partage leur vie pendant ces mille pages, on s'adapte à leur monde, on les connaît... C'est comme des amis d'enfance perdus de vue. Ils sont inoubliables. Un énorme coup de coeur pour eux
L'histoire, ce sont des bribes, il faut recoller les morceaux, essayer de comprendre... les habitants de la maison aiment le mystère, ils ne livrent pas leur monde si facilement. Mais c'est encore plus immersif.
C'était la maison dans toute sa splendeur : on restait assis à fixer le mur ou le plafond, on écoutait de la musique, ou non, et on s'enuyait ferme. Alors on fumait et fumait encore, pour s'occuper. Et pendant ce temps-là, des chefs déambulaient, écorchés jusqu'au sang. La Maison décidait ou non de marquer les siens de son emprunte. Le seul éducateur un tant soit peu normal était en vérité un cinglé. Dans l'air flottaient des virus vecteurs de maladies dont la science ignorait tout, et au bout du compte, il était possible que tout ça ne soit que le fruit de l'imagination de Chacal qui adorait terrorriser son entourage avec ses histoires malsaines (p765)
L'ambiance... de la magie. De la vraie, de la magie au sens fort, comme on n'en côtoie rarement d'aussi près. C'est pas des sorts comme dans Harry Potter, cette magie là est partout. Elle imprègne les murs plein de graffitis de la maison, elle est dans les chansons et les poèmes, dans les amitiés. Elle déborde même sur le livre : il brille, il est beau, quand on le lit trop longtemps, il laisse des marques sur les mains (oui bon, il pèse un kilo et demi alors forcément...)(N'empêche ! La maison nous marque physiquement, comme elle marque physiquement ses pensionnaires égarés. Moi je vois de la magie là-dedans

L'écriture est superbe. C'est poétique à crever, c'est drôle, c'est triste, c'est énormément touchant, ça fait peur, il y a du suspense... on passe par toute la palette dans ce livre, et plusieurs fois ! Et toujours cette angoisse de progresser parce que ça veut dire se rapprocher de la fin, et ensuite : boum, le monde réel.
Chacun choisit sa Maison. Nous la rendons intéressante ou non, et ensuite, et bien, ensuite, elle nous change, nous transforme. Tu n'es pas obligé d'être d'accord avec ce que je suis en train de te dire, c'est aussi une forme de choix. (p345)
D'après la petite bio sur le bord de la jaquette, l'auteur, Mariam Petrosyan, ressent un grand vide depuis que son roman est paru. Après un texte pareil, j'ai aucun mal à l'imaginer, ce bouquin nous remplit, et quelque part aussi, il nous vide. C'est notre enfance, notre adolescence qui sont dans ces mille page. C'est notre amour de l'irréel et notre peur du monde concret.
Extraordinaire.
Et je me suis retrouvé dans la Maison Grise, un endroit créé pour les gens comme moi, ceux dont nul n'a besoin. (p415)

edit Vu qu'il commence à y en avoir beaucoup, j'ai regroupé les fanarts que les plumes ont posté sur ce topic dans ce dossier partagé : https://drive.google.com/drive/folders/ ... sp=sharing