Hey !
Je passe un œil par ici pour partager quelques lectures enthousiasmantes de ces derniers temps

Oui, malgré le gros emploi du temps du nouveau taf, j'ai au moins le temps de pas mal lire, parce que 1h de transports en commun (aller +retour, une heure en tout). Donc !
Révoltée, de Evguenia Iaroslavskaïa-Markon.
« Si je raconte tout cela avec tant de franchise, c'est parce que je m'attends de toute manière à être fusillée. » Cette révolutionnaire russe sera effectivement fusillée en 1931 dans un camp des îles Solovki.
Evguenia Iaroslavskaïa-Markon a écrit son histoire à la hâte dans sa prison en attendant son exécution. D'abord étudiante pleine de rêves, engagée dans les luttes auprès des paysans et des ouvriers au tout début du XXe siècle, cette militante communiste est vite dégoûtée par la dictature des bolchéviks. Au point même qu'elle se convainc que le monde des voyous, des marginaux, des prostituées, des gens de la rue... forme la seule classe vraiment révolutionnaire. Elle décide donc de vivre avec les exclus, n'hésitant pas à faire le trottoir, à voler, distribuer des tracts, faire des missions dangereuses, etc - à la fois par conviction politique et par goût du risque. Evguenia avait par ailleurs des prothèses aux deux jambes depuis un grave accident, ce qui ne l'a jamais arrêtée dans ses luttes et ses choix radicaux. On découvre sous sa plume un Moscou des bas-fonds : les misérables, les enfants des rues, les ivrognes, les prostituées, les délinquants - dans un style très direct et sans concession. Touchée d'un coup de poing en découvrant cette femme.
Les Armoires vides, par Annie Ernaux.
Roman autobiographie. L'autrice y raconte la honte de son milieu social d'origine, cette honte qui a pris de plus en plus de place en elle à mesure que la petite fille qu'elle était a fréquenté l'école. Issue d'un milieu très populaire (les parents tiennent un bar/épicerie dans un quartier difficile), la fillette assiste quotidiennement à la vulgarité des clients, aux blagues cochonnes, aux poivraux qui vomissent et lui font des commentaires déplacés, à l'omniprésence du sexe. Elle a bien conscience, aussi, de la pauvreté de ses parents et du fait que, cependant, ils font leur maximum pour que, elle, puisse suivre des études. On sent à quel point l'autrice - enfin, l'enfant qu'elle était alors - oscille entre amour et haine envers ses parents et son milieu. Et c'est évidemment, enfin, une histoire de transfuge de classe, puisque l'autrice termine sur les bancs de l'université au milieu de bourgeois de fac de droit à côté desquels, une nouvelle fois, elle ne se sent pas non plus à sa place. J'ai été très marquée par l'écriture abrupte, le caractère sans filtre des sentiments tout au long de ce récit extrêmement intime et plein de souffrances.
Ce texte est venu me chercher aussi sur un aspect dans lequel j'ai un peu retrouvé l'enfant que j'étais : se sentir la nécessité de tout donner dans les études et les arts, afin de "se racheter". Le sentiment d'être tellement "ratée" et objet de déception, qu'il fallait être infaillible et la meilleure sur les domaines où je présentais des facilités. Elle, par "vengeance" de classe, moi par rapport à ce que mon handicap impliquait dans les yeux d'autrui.
Ce qu'il advint du sauvage blanc, par François Garde.
Au milieu du XIXe siècle, Narcisse Pelletier, un jeune matelot français, est abandonné sur une plage d'Australie. Dix-sept ans plus tard, un navire anglais le retrouve par hasard : il vit nu, tatoué, sait chasser et pêcher à la manière de la tribu qui l'a recueilli. Il a toutefois complètement perdu l'usage de la langue française et oublié jusqu'à son propre nom. Que s'est-il passé pendant ces dix-sept années ? C'est l'énigme à laquelle se heurte Octave de Vallombrun, grand scientifique de son temps et qui prend sous son aile, à Sydney, celui qu'on surnomme désormais le « sauvage blanc ». Un roman tiré d'une histoire vraie.
Gros coup de cœur aussi, ce roman.

Bien sûr, il interroge l'altérité, le langage, l'apprentissage, mais aussi les notions de civilisation et de barbarie. Plus encore dans un XIXe siècle bien raciste où Narcisse, qui met pourtant la meilleure volonté du monde à tenter de se réinsérer et de "correspondre" à nouveau aux attentes, est confronté au mépris des scientifiques, du clergé, de certains membres de la noblesse aussi. Cela dit, le tableau de la tribu australienne est loin d'être tout rose et j'ai apprécié qu'on ne soit ni dans le manichéisme ni dans le délire du "bon sauvage". La structure du roman aussi m'a vraiment plu - construit en alternance entre d'une part les lettres qu'Octave envoie au Président de l'académie des sciences pour lui parler de "la réadaptation" de Narcisse, et d'autre tout le récit de ce qui est arrivé à Narcisse en Australie.
Notre part de nuit, par Marina Enriquez.
Attention, pavé de 700 pages

Fresque gothique et fantastique, dans l'Argentine des années 70/80 mais aussi avec quelques excursions du côté de Londres. Juan et son petit garçon Gaspar sont en fuite sur les routes d'une Argentine en proie à la dictature. Ils tentent d'échapper à un sinistre passé, impliquant des secrets de famille, des crimes, une société secrète aux rites sanglants. La mère de Gaspar notamment a disparu dans des circonstances aussi étranges qu'inquiétantes. Et Gaspar lui-même court au devant d'un douloureux avenir : il a hérité de son père le statut de médium, opérant le contact entre le monde des vivants et celui des Ténèbres pour le compte de la société secrète dont Juan est déjà l'instrument.
Moi qui ne suis pourtant pas spécialement une grande lectrice de surnaturel, je me suis laissée prendre très vite par l'ambiance noire et captivante de ce périple. Le gothique, les monstres, les rites sacrificiels et le folklore Sud-Américain y sont pour beaucoup. Le récit est vraiment très original, dans ses ambiances, dans sa structure narrative, dans ses personnages aux prises avec des fantômes ou devant composer avec des corps brisés. Et puis le récit cause famille, deuil, rapport à la mort et à l'éternité, sacrifices... Des thèmes qui viennent me chercher.
La Chouette aveugle, de Sadegh Hedayat.
Roman iranian, ce récit très déconcertant tient tantôt du rêve tantôt du fantastique avec une ambiance parfois hallucinée. On flirte avec le surréalisme dans ce solipsisme du personnage principal, qui nous raconte différentes étapes marquantes de ses relations avec le monde. Une étrange histoire d'amour d'abord, avec une jeune femme mystérieuse dont on ne sait bien ce qui est réel, ce qui est fantasmé. Le ton est lyrique, la plume très ornée. Puis on bascule dans quelque chose de plus en plus ténébreux, marqué par le deuil, la perte, le monde environnant réduit à des ombres errantes. Clairement, ne vous attendez pas à une narration "classique", avec une intrigue aux enjeux clairs etc. On est davantage sur une longue confidence et une succession de méditations sur l'amour, la mort, le rapport au monde. La plume m'a plusieurs fois saisie aux tripes, avec des phrases saillies.
Une m'a particulièrement tartée :
"Je ne me sentais aussi calme que parce que je m'étais débarrassé des croyances qu'on m'avait inculquées. L'espoir du néant, après la mort, restait mon unique consolation, tandis qu'au contraire l'idée d'une seconde vie m'effrayait et m'abattait."
Maintenant, j'attends de recevoir les livres de
@Liné et
@Eryn - j'ai tellement hâte !
