Récit #2 - La question du lectorat

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Cricri
Admine
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Récit #2 - La question du lectorat

Message par Cricri »

On peut n’écrire que pour soi-même, mais à l’instant où un auteur envisage une publication (papier ou numérique), il entre dans une démarche de transmission. Un émetteur, un message, un destinataire. Il n’est pas forcément évident de se poser la question du « public cible » mais nous n’écrirons pas de la même façon dans un album petite jeunesse que dans un roman junior que dans un roman adulte. Ça devient par contre plus délicat quand on commence à essayer de délimiter les frontières fluctuantes entre adolescence, adulescence et adultat. Les professionnels du livre ont d’ailleurs parfois du mal à s’accorder pour classer un roman dans telle ou telle catégorie. Et même entre nous, auteurs : certains ont écrit du Young Adult sans le vouloir et d’autres croyaient en avoir écrit sauf que non, apparemment, ça n’en est pas. Ça peut dépendre du champ lexical, des dialogues, de la manière d'aborder et de structurer le récit, mais aussi du ou des messages véhiculés par l’histoire. Enfin, il existe des oeuvres intergénérationnelles qui possèdent plusieurs niveaux de lecture et qui pourront atteindre un public extrêmement étendu. Mais quel que soit le lecteur-type auquel il destine son roman, il y a trois questions qu’un auteur peut être amené à se poser en termes de «transmission».

Le lecteur va-t-il comprendre mon histoire ?

Que le registre de langue soit familier, courant ou soutenu, le lecteur doit pouvoir saisir l’enjeu central d’une histoire, comprendre les actions et, au moins dans une certaine mesure, les motivations des personnages. Qu’un lecteur se pose des questions sur l’histoire, c’est très bien mais il lui faut des éléments de réponse au fur et à mesure de son avancée. Il doit pouvoir comprendre qui dit quoi dans un dialogue, qui fait quoi dans une action ? et pourquoi. Si votre récit contient beaucoup d’informations, voyez si vous pouvez les divulguer progressivement, distiller des détails petit à petit plutôt que tout en une fois.

Le lecteur va-t-il croire en mon histoire ?

Il s’agit ici de notre aptitude à donner l’illusion du vrai à une oeuvre de fiction. Un auteur peut créer des mondes impossibles, animer des personnages imaginaires et faire vivre des émotions bien réelles au lecteur : à la première invraisemblance, l’illusion se dissout. Et le lecteur sort de sa lecture. Si vous attribuez tel caractère à tel personnage, il faut que ses décisions reflètent ce qu’il est fondamentalement. Ses actions et ses réactions doivent être adaptées aux événements et aux autres personnages. Et si vous affirmez telle vérité au début, attention de ne pas vous contredire plus loin. Une histoire n’est pas crédible parce qu’elle est réaliste, elle l’est parce qu’elle est cohérente. Même les univers absurdes possèdent leur propre logique qui fait que oui, c’est impossible, c’est délirant, mais on y croit.

Le lecteur va-t-il accrocher en mon histoire ?

C’est au fond ce que chaque auteur souhaite. Il est pourtant très difficile de déterminer ce qui fait qu’un lecteur va avoir envie, ou non, de tourner la page. C’est en partie une affaire de subjectivité : ce qui va beaucoup parler à l’un indifférera un autre. En fait, il n’est peut-être pas souhaitable d’écrire une histoire en ayant pour seul but de la rendre vendeuse. Ce serait dès lors écrire uniquement en fonction du lectorat et non plus en fonction de soi ; être tenté d’y glisser des éléments vus, revus et re-revus ailleurs parce qu’ils ont été des succès commerciaux ; créer un message qui n’aurait finalement ni véritable destinataire ni véritable émetteur. Pour que la rencontre ait lieu entre l’auteur et son lecteur, la sincérité est essentielle. Mettez vos émotions, vos questionnements, votre humanité dans ce que vous écrivez, que ce soit sous une forme réaliste ou symbolisée. Plus vous toucherez à l’universalité, plus vos lecteurs se reconnaîtront dans ce que vous écrirez. Le désir d’être aimé, la peur de l’abandon, la volonté de trouver sa place : ce sont des thèmes qui pourront se retrouver dans les albums pour enfants comme dans les livres pour adultes.

Et vous ? Écrivez-vous en ayant votre lectorat à l’esprit ? Adaptez-vous votre style et votre récit en fonction de lui ?

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Lohiel
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Re: Récit #2 - La question du lectorat

Message par Lohiel »

Hello

Je ressors ce vieux sujet, auquel personne n'avait répondu, et c'est bien dommage car il aborde à mon humble avis une question centrale du processus d'écriture. Laquelle est pourtant la grande absente de la majorité des débats (CQFD). Après recherche sur le forum, je n'ai pas l'impression qu'il ait été dépiauté ici non plus.

La lectrice, le lecteur.

À mon sens, très peu d'écrivains ont "ce truc magique" qui fera qu'ils écriront uniquement pour eux-mêmes... mais que leur texte sera au final merveilleusement bien reçu par le public. L'extrême, en ce domaine, c'est Franz Kafka, un vrai solitaire, qui écrivait quasiment en secret et avait demandé à son meilleur ami de détruire ses œuvres après sa mort. Lequel n'a pas obéi, heureusement. On connaît la suite.

Pour la plupart d'entre nous, il faut quand même tendre la main pour recevoir quelque chose en retour.

À l'autre bout, il y a ceux qui composent "l'oeuvre marketing parfaite" en fonction de l'air du temps, qui fera peut-être son petit succès, mais qui - je crois - ne laissera pas vraiment de traces à long terme, sinon comme curiosité historique.

Du moment où, ado, on commence à remplir des cahiers que l'on ne montrerait pour rien au monde, à celui où on sait composer un texte accueillant à celui ou celle qui le lira, mais qui reste bien le vôtre, l'histoire que personne d'autre que vous ne pourrait raconter de cette manière, que se passe-t-il ?

Toujours à mon humble avis, il y a un moment où l'ego se déplace... et où on commence à penser à cette personne encore absente, inconnue, mais que l'on espère de tout son cœur. À l'imaginer devant telle ou telle phrase, devant telle ou telle énigme ou parti-pris... et à se demander "aimera-t-elle, comprendra-t-elle, restera-t-elle ?"

Car oui, rien n'est plus simple que de poser un livre avec un soupir et de passer à autre chose - et la lectrice insatiable en moi tient à ce droit inaliénable :)

Et est-ce cela, la maturité en écriture, cette capacité à s'oublier et à mettre le lecteur, la lectrice, au centre de votre cheminement ? Ou bien est-ce différent pour tout le monde ? Ces questions me travaillent depuis longtemps. Stephen King en parle très souvent dans ses mémoires d'écriture, mais je n'ai pas souvenir de les avoir vues autant évoquées ailleurs. C'est quand même étonnant, l'écriture pour beaucoup de gens est entièrement tendue vers ce but, se faire aimer par celles et ceux qui le lisent, mais on parle si peu d'eux...

Pourquoi ? Et vous, y pensez-vous souvent ?

Lo :hibiscus:

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Audrey Lys
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Re: Récit #2 - La question du lectorat

Message par Audrey Lys »

[mention]Lohiel[/mention] j'aime beaucoup ce que tu dis^^
Personnellement j'écris d'abord pour moi-même, pour mes personnages, mais depuis que je suis sûr PA je pense aussi beaucoup aux lecteurs - et en particulier ceux qui me suivent. Ce qui parfois m'amène à modifier légèrement quelques éléments, à mon grand étonnement, comme si j'anticipais par avance les critiques. Cela dit, je ne vois pas ces modifications comme une contrainte, elles me viennent naturellement. Cependant depuis que je suis sur PA, j'ai du mal à me passer de retour, du regard du lecteur, sur mes textes. C'est presque devenu un carburant indispensable. Parfois je me dis que je devrais me recentrer sur moi-même, mais je sais que j'écris pour partager, et que c'est mon envie première. Bref, j'essaie de maintenir l'équilibre entre mes attentes et celles des lecteurs, et parfois ce n'est pas facile .

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Re: Récit #2 - La question du lectorat

Message par arno_01 »

Personnellement, si je garde en tête le lectorat cible, pour adapter le style, et le niveau d'écriture (essayer en tout cas), je ne me posais pas les autres questions en terme de lecteur. (et c'est peut-être bien une erreur).

(bien que rêvant d'être publié), j'écris en premier lieu pour fixer mes histoire. Je me posais certainnes de ces questions mais au niveau de l'histoire et non du lecteur. 'Le lecteur va-t-il croire en mon histoire?' etait posé en 'l'histoire est-elle crédible', et ainsi de suite.

Rajouter la notion de lecteur à ces question me parait (maintenant) important. tout le monde n'est pas prêt à croire à la même chose. Pour certains lectorat, il faudra peut être nécessaire de donner plus (ou moins) de détail pour expliquer / rendre crédible un comportement.
Merci [mention]Cricri[/mention] pour ces notions (et [mention]Lohiel[/mention] pour avoir raffraichis le sujet).
Je m'en vais me casser la tête à tenter d'y répondre.

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Cocochoup
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Re: Récit #2 - La question du lectorat

Message par Cocochoup »

Écrire ce qu'on aimerait lire... C'est tout à fait ce [mention]Jo-Anne[/mention] !
Tu m'otes les mots de la bouche.

En arrivant sur PA avec l'excitation des premiers projets, j'ai voulu commencer à publier tout de suite. Avoir des retours. Plein de retours 😅
Tout ça à pour finir par me rendre compte que cela me crée une pression qui me paralyse. J'ai fini par écrire avec la boule au ventre. En me demandant quasiment à chaque phrase si c'était ça que les gens voulaient lire. J'en ai perdu mon histoire.

Finalement j'écris beaucoup mieux sans publier au fur et à mesure. J'ai la chance d'avoir rencontrer des plumes qui me soutiennent et qui prennent le temps de me BL quelques chapitres pour m'aiguiller sur la bonne direction ou non. Et ce fonctionnement me convient complètement.
Je ne publierai sur PA que lorsque mes histoires seront achevées. Ou quasiment.

Je n'imagine même pas la pression des auteurs qui ecrivent des saga à succès ( comme [mention]Cricri[/mention] )!!

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Litchie
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Re: Récit #2 - La question du lectorat

Message par Litchie »

Jo-Anne a écrit : 04 juil. 2020, 00:19je crois que l’on écrit l’histoire que l’on aimerait lire.
Je suis complètement de ton avis <3 Et je rejoins [mention]Cocochoup[/mention] : autant j'ai écris sans problème mais deux premiers textes, autant en essayant de publier chapitre par chapitre sur mon dernier manuscrit, je me rajoute une pression de ouf. C'est hyper motivant, au début, de recevoir des retours sur un début d'idée, mais maintenant que ce texte a un public (même réduit, c'est pas la question) j'ai peur de le décevoir. Alors qu'en écrivant sans, je me sens plus libre.

Cela dit, je trouve hyper intéressant la réflexion de [mention]Lohiel[/mention], quand tu dis
Lohiel a écrit : 03 juil. 2020, 11:39 À mon sens, très peu d'écrivains ont "ce truc magique" qui fera qu'ils écriront uniquement pour eux-mêmes... mais que leur texte sera au final merveilleusement bien reçu par le public.
Je ne sais pas trop comment développer là-dessus, car j'écris avant tout pour moi-même, et c'est difficile de dire si le public reçoit bien mes propres textes :rofl: mais il est clair que je n'écris pas de jeunesse, justement parce que je n'ai pas envie de prendre le public en compte. Enfin non, ce n'est pas que j'en ai pas envie, c'est que je trouve hyper difficile d'écrire pour quelqu'un d'autre que soi. Je sais ce que j'ai envie de lire, mais un adolescent ? Un enfant ? Je me sens incapable de me mettre à la place d'un lecteur.

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Litchie
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Re: Récit #2 - La question du lectorat

Message par Litchie »

Jo-Anne a écrit : 07 juil. 2020, 12:11 @Litchie : je pense que si tu veux connaître la réaction du public, le meilleur moyen est de soumettre ton texte à des BL ou un entourage de confiance. Ils te donneront leur avis objectif ou subjectif (c'est selon :'D ), voire les deux.
Ah mais c'est déjà fait, mais ça reste difficile pour moi de dire "oh mes textes sont plutôt bien reçus" :rofl: (syndrôme de l'imposteur ? Peut-être)

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Fannie
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Re: Récit #2 - La question du lectorat

Message par Fannie »

À l'origine, j'écrivais pour ma sœur. Nous nous racontions nos histoires, nos personnages évoluaient dans le même monde et leurs rencontres pouvaient donner lieu à de l'écriture à quatre mains. Mais au début, j'écrivais en fonction de notre complicité.
Depuis des années déjà, elle est complètement sortie de l'écriture et de nos histoires. Alors j'ai envie de partager ça avec quelqu'un d'autre, histoire de faire vivre mes personnages.

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Sissi84
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Re: Récit #2 - La question du lectorat

Message par Sissi84 »

Pour ma part, j'ai écrit toute ma vie pour moi-même, une sorte de thérapie, de défouloir.
Récemment, j'ai autopublié un livre parce que j'avais besoin d'un lectorat pour cette histoire. Un thème qui me touchait, qui me donnait envie de crier, envie de fragmenter cette émotion trop forte pour être contenue.
Mais je suis restée invisible … forcément.
Je me suis dit : je me fiche d'être publiée, ce que je veux c'est être lu. Toucher d'autres gens, partager mes émotions.
Pour ça, certains font de la politique. Moi j'ai déjà donné. Je n'en fais plus.
D'autres militent pour des causes. Moi j'ai déjà donné. Je ne le fais plus.
Je suis trop fatiguée de me battre contre des moulins et de brasser de l'air. Et je n'ai plus l'âge de m'attacher avec des menottes aux grilles de l'ambassade du Japon pour qu'ils cessent la chasse à la baleine.
Edward Bulwer-Lytton a dit « La plume est plus puissante que l'épée ». A-t-il raison ? Je l'espère, parce que ce sera mon dernier combat pour lancer une petite étincelle dans ce monde qui ne fait que pleurer.
Ce livre que j'ai mis en route je l'écris pour les jeunes. Ce qui fait que je n'écris plus pour moi-même et ça change tout : mon regard face à leur vision, mes espoirs face à leurs incertitudes, ma confiance face à leur pessimisme, ma patience face à leurs révoltes.
J'ai choisi la Fantasy, parce que j'adore ces univers où tout est possible. Comme le dit si bien Cricri « Même les univers absurdes possèdent leur propre logique... »
C'est donc un gros défi pour moi d'écrire pour les jeunes et j'ai eu l'agréable surprise, aujourd'hui, d'avoir ma première lectrice qui m'a laissé un commentaire. Elle s'appelle Soizic et elle a treize ans. Mon héroïne s'appelle Soizic et elle a dix ans. J'en avais les larmes aux yeux.
Alors si je ne publie jamais je m'en fiche. J'ai trouvé mon lectorat, il est ici sur ce forum.

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Makara
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Re: Récit #2 - La question du lectorat

Message par Makara »

Ton message est très émouvant :hug: <3 [mention]Sissi84[/mention]. Je pense que tu seras bien avec nous ;* ;*

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