Concepts et vocabulaire anachroniques ou déplacés

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itchane
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Concepts et vocabulaire anachroniques ou déplacés

Message par itchane »

Il y a quelques temps, j'écrivais une nouvelle dont les événements se passent à la Préhistoire.
Comme le récit est donné d'un point de vue interne, je me suis vite rendu compte que de très nombreux mots, concepts, expressions n'auraient pas leur place dans le texte.
Par exemple, l'ensemble des unités de mesures comme le mètre, la minute, la semaine, puisque ces notions n'avaient pas encore été inventées à la Préhistoire ; mais aussi les descriptions faisant référence à des objets ou des matières non encore existantes ("argenté", "soyeux", etc ) et par extension j'ai tenté de supprimer tous les concepts qui n'avaient pas de sens pour un enfant de l'époque : cloison, fuser, adrénaline, stress, etc.

Et plus je me plongeais dans ces interrogations, plus je trouvais la réflexion intéressante et plus je voyais des anachronismes ou concepts déplacés - que je n'aurais pas perçus avant - fleurir dans les textes que je lisais.

Est-ce que ce genre de préoccupations de vocabulaire vous est déjà venu à l'esprit en écrivant ou en lisant ?

• Est-ce que vos personnages d'univers préindustriels (fantastiques ou non) s'expriment en mètres alors que l'unité est dérivée de la circonférence de notre Terre et qu'elle est apparue en 1791 ?
• Est-ce que vous utilisez les mots "heures", "minutes" et "secondes" même lorsque votre histoire se passe avant l'invention de ces mesures ?
Et lorsque votre monde est imaginaire, est-ce que les durées d'une journée ou d'une année sont "comme par hasard" les mêmes que sur Terre, avec les mêmes unités de temps ? Avoir 18 "ans" dans votre monde, c'est la même durée de vie que chez nous ? :thinking:
• Est-ce que vos personnages sentent monter leur "adrénaline" même lorsque le récit remonte à une époque précédant sa découverte (1895) ?

Et dans le cas où, "oui", vous utiliseriez ou liriez malgré tout les mots "mètre", "seconde", "stress" ou "hormone" de façon anachronique, ou dans des mondes imaginaires dans lesquels ils n'ont aucune raison d'exister, est-ce un problème pour vous ?
Ou bien est-ce que vous considérez que cela fait partie des outils narratifs de base et vous trouvez qu'il serait trop inutilement compliqué de chercher à les remplacer ?

Je suis curieuse :
quels sont les mots, expressions ou concepts que vous avez décidé de laisser et ceux que vous avez pris soin de supprimer de vos textes dont l'intrigue se passe dans un univers non contemporain et/ou non réel ? :D

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Mary
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Re: Concepts et vocabulaire anachroniques ou déplacés

Message par Mary »

@itchane J'ai eu précisément le cas avec le Lotus Noir, qui se passe en 1710. Les unités temporelles étaient bien les mêmes que les nôtres (sauf les secondes) mais j'ai dû réapprendre les poids et les mesures, notamment les distances. Il est donc questions de livres, de pieds, de coudées, etc...
J'ai fait aussi attention à ce que mon personnage pouvait savoir. Si je reprends ton exemple de soyeux, en soi le mot existait, bien entendu, mais Alban était-il capable de l'avoir déjà entendu/appliqué ? (en l'occurrence, oui).
Pareil, quand il va prendre ses renseignements sur le Lotus Noir (le navire), je lui ai fait demander à son interlocuteur ce qu'était un lotus, parce qu'en Bretagne en 1710, il n'avait aucun moyen de connaître ni le mot ni la notion.

J'ai eu le même raisonnement pour Noctis, qui se passe en 1898-1899, avec moins de difficultés car beaucoup plus proche de nous dans le temps.

L'exercice n'est pas très difficile, en fait. C'est de la fiction, donc tu peux t'arranger avec toi-même : si tu voulais une quantité ou une distance que tu ne trouves pas, il y a moyen d'adapter pour que ça colle avec un terme facile à utiliser pour toi (ou facile à expliquer).

Ca arrive que je lise ces "facilités" dans des textes, et très sincèrement cela me gêne. On a un accès énorme à l'information si on s'en donne la peine, et du coup, je perçois ça comme un manque de rigueur à moins qu'on me donne une explication valable (si Truc remonte le temps et apprends à Bidule une notion qu'il ou elle est pas censé.e connaître, par exemple) mais voilà, dans une fiction historique, j'ai assez peu de tolérance sur ces trucs-là - même si ça ne me dérange pas au point d'interrompre ma lecture juste pour ça.

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HarleyAWarren
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Re: Concepts et vocabulaire anachroniques ou déplacés

Message par HarleyAWarren »

Je dirais que ça dépend (oui, je sais, ça dépend, ça dépasse, tout ça). Dans le cadre d'une fiction historique, je trouve que c'est en effet toujours mieux d'essayer de coller à ce qui était possible à l'époque, que ce soit en terme de vocabulaire ou de concept. En ce moment, j'écris une histoire qui se passe au Japon en 1614 et évidemment, il y a pas mal de moments où je dois trouver des circonvolutions pour éviter l'anachronisme. Cela dit, je dirais que ça dépend de la narration aussi. On ne prêtera pas la même attention à ce genre de détails si on se trouve dans un dialogue ou une narration interne que si on se trouve sur une focalisation externe. Dans ce dernier cas, à mon sens, on peut se permettre un peu plus de marge et inclure un peu de vocabulaire anachronique, si tant est que ce n'est pas trop "énorme" non plus et pas trop souvent. Il faut faire la balance entre ce qui serait correct historiquement parlant et ne pas non plus transformer le texte en un cours magistral sur l'histoire. Bref, c'est toujours un équilibre compliqué.

Ce qu'il faut éviter à tout prix, par contre, c'est le présentisme. Trouver l'expression "il avait un train de retard" dans un texte qui se passe au Moyen-Âge, bon, au pire des cas, c'est cocasse. Ce qui va ruiner complètement un texte historique, à mon sens, c'est d'y calquer des valeurs qui ne sont pas celles de l'époque mais les nôtres. C'est un peu différent quand il s'agit d'un univers imaginaire, parce que même si on s'inspire d'une époque ou d'une culture en particulier, on peut toujours "faire le tri" et ne garder que ce qui nous arrange. Par contre, à partir du moment où en tant qu'auteur.e, tu choisis d'écrire sur une période historique donnée, tu dois aussi accepter que les valeurs et les mentalités de l'époque sont différentes, voire très différentes des nôtres. Je me souviens qu'on m'avait dit, parce que mes textes sur le Japon pré-moderne abordent souvent la question de la pédérastie qui avait cours à cette époque, et on m'avait reproché d'en parler sans dire à quel point c'était mal toutes les trois lignes, voire, on m'avait conseillé de complètement virer cet aspect et de faire comme s'il n'existait pas. Ce que, pour le coup, je trouve complètement inacceptable.

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Fannie
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Re: Concepts et vocabulaire anachroniques ou déplacés

Message par Fannie »

Pour une fiction qui se déroule dans la préhistoire, c'est bien d'éviter les concepts tels que les heures, les kilomètres, etc. Mais pour les reste, il me semble qu'on peut faire un peu ce qu'on veut parce qu'en vérité, on ne connaît pas grand-chose de la manière dont les gens vivaient à cette époque, et rien sur les relations qu'ils avaient entre eux, leur manière de parler, etc. C'est donc difficile de déterminer ce qui est crédible ou non.

Pour moi, dans des époque mieux connues, tant qu'on reste dans une narration externe, on peut s'exprimer comme aujourd'hui et raisonner en fonction de notre époque : ce n'est finalement que le regard d'un narrateur du XXIe siècle sur une histoire du passé.
En revanche, quand on entre dans la tête des personnages ou qu'on les met en scène dans des dialogues, un langage et des concepts anachroniques vont complètement les discréditer. À ce moment, je risque de sortir de l'histoire et de ne plus pouvoir y croire. (Par exemple un enfant qui dit "C'était trop bien !" ou des gens qui parlent de "décrypter" un "message codé" en 1900, ça ne passe pas.)

Je suis d'accord avec @HarleyAWarren que ce n'est pas acceptable de nous demander d'intégrer la morale actuelle à des récits qui se déroulent dans le passé.
Certains de mes choix ont été mal reçus (hors de PA) dans une histoire où je mets en scène un personnage transgenre dans un récit qui se déroule en 1990 avec des incursions dans les années 70. On m'a même dit que je n'aurais pas dû raconter le passé de ce personnage. (!)J'ai reçu ce genre de reproches de gens qui n'étaient probablement pas nés dans les années 70 alors que moi, j'y étais.
C'est toujours délicat d'écrire des récits qui abordent des thèmes aussi épineux dans le passé, parce que chercher à éviter de choquer tout en restant dans l'état d'esprit de l'époque est un exercice d'équilibriste.

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Alice_Lath
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Re: Concepts et vocabulaire anachroniques ou déplacés

Message par Alice_Lath »

Hello hello !

Je me permets d'intervenir brièvement sur la notion d'anachronismes évoquée par Harley et Fannie, notamment au niveau des notions morales et de leurs condamnations (un peu hors-sujet, navrée par avance, mais on peut relier ça à l'utilisation de certains focus et choix scenaristiques qui se trouvent du coup erronés dans un roman historique où obsolètes, si c'est trop HS, je supprimerai)

Cela m'a frappée en regardant un documentaire sur l'empire romain sur Netflix l'autre jour. Sous prétexte de la réputation des orgies de fin d'Empire, on représente souvent cette période à travers les scènes charnelles et l'immoralité. En voulant zoomer sur cet aspect qui fait frétiller le lecteur contemporain, on commet en réalité une grosse inexactitude historique, puisqu'il s'agissait là certes de choses qui existaient un peu, et surtout vers la toute fin, mais l'empire romain était bien davantage encore et l'idéal romain était l'austérité ainsi que la vertu. Les Romains réprouvaient fortement la dépravation et plaçaient leur patrie au-dessus de tout. Présenter donc le monde romain par le cul sensuel et sexy, c'est parler de nos fantasmes sur eux et non de leur réalité. La civilisation athénienne est aussi souvent présentée uniquement par sa valorisation de la pédérastie comme idéal de vie. Idéal que beaucoup de gens ont repris à leur tour par la suite sous couvert du prétexte historique pour justifier leurs fantasmes contemporains, il suffit de voir les metoo gay. Cela rejoint aussi les nombreuses scènes d'agressions envers les femmes que l'on retrouve dans les récits médiévaux. En montrant cela comme la normalité la plus pure à cette époque, un incident comme un autre, on justifie en réalité un comportement, qui déjà était condamné (bien que mal condamné, je ne le nie pas). D'ailleurs, souvent dans les cas de pédérastie et de violences aux femmes dans les ouvrages historiques, leurs conséquences psychologiques ne sont pas évoquées, ou très brièvement, minimisées.

Dans chacun de ces cas, l'auteur s'estime souvent objectif et prêt à adopter le point de vue de l'époque. La réalité, c'est que le monde a changé et l'auteurice aussi. Certes, le passé avait sa part d'horreurs, mais il est important de montrer qu'avec la connaissance morale que nous avons gagné aujourd'hui, ce n'est pas quelque chose de normal. C'était une erreur qui a blessé et pourri des vies entières. Nier les dégâts causés et ne pas en parler (je parle pas de tartines moralisatrices non plus hein, comme dit Fannie, c'est un art chiant et subtile), ça revient à glamouriser une vision du passé obsolète, voire parfois erronée. De plus, il faut voir ce que l'on a appris des dommages causés par ces comportements sur les victimes : nous romancières et romanciers qui voulons dresser des portraits psychologiques les plus saisissants possibles, pourquoi ignorer les progrès de la science psychologique dans ce domaine ? Après, il s'agit pas de cramer les bouquins qui n'adoptent pas cette démarche, mais simplement que l'on ne dise pas qu'ils sont objectifs et neutres. L'Histoire ne l'a jamais été.

Voilà, c'est ma ptite bafouille sur la morale et l'anachronisme 👉👈

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HarleyAWarren
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Re: Concepts et vocabulaire anachroniques ou déplacés

Message par HarleyAWarren »

@Alice_Lath Ce dont tu parles me fait pas mal penser au concept de l'échelle graduée entre idéalisme ou cynisme (attention, lien TVTropes présentant des risques élevés de se perdre sur ce site de malheur pendant des heures). En gros, chaque oeuvre prend le parti de présenter le monde selon un certain degré d'idéalisme ou de cynisme, un extrême étant un optimisme à toute épreuve à base de pouvoir de l'amour et l'autre un nihilisme désabusé qui a abandonné tout espoir de rédemption de l'humanité, avec tout plein de nuances entre les deux. Et à mon sens, dans les récits historiques, on peut ajouter à cette échelle, une échelle "Réalisme/Fantasme". Parfois, ça peut être complètement assumé de virer dans une version erronée et/ou fantasmée de la réalité historique, comme ça peut être le cas pour des oeuvres comme 300 ou dans des oeuvres humoristiques style Kaamelot, où le côté fantasme devient un ressort comique.

Mais souvent, il "faut" que les deux échelles se correspondent pour que ça fonctionne. En général, une oeuvre plus fantasmée marchera mieux si on garde un ton idéaliste, et à l'inverse, si on veut adopter un ton cynique, ce sera plus efficace si on colle le plus possible à la réalité, parce que le cynisme est en quelque sorte "justifié" par le fait que ce soit quelque chose de réel. Et en général, quand on combine fantasme et cynisme, on a tendance à se retrouver avec ce que tu décris, une espèce de monde horrible où la perversion et la violence règnent partout et tout le monde trouve ça normal. Cela dit, ça n'a pas besoin d'aller jusque-là. Un exemple complètement trivial et (je n'irais pas jusqu'à dire systématique mais pas loin) très courant, c'est cette idée comme quoi à partir du moment où tu te places dans un contexte historique, toute notion de fun disparait, les gens se parlent entre eux comme des robots, personne ne s'amuse jamais et tout le monde semble avoir un tronc de baobab carré dans le fondement. C'est particulièrement le cas pour les oeuvres qui se situent dans l'ère victorienne ou de manière générale, entre la Révolution et la Seconde Guerre Mondiale, comme si Robespierre avait aussi décapité le fun pendant la Terreur. Bref, c'est à mon sens quelque chose dont il faut avoir conscience quand on écrit un texte historique pour éviter d'avoir l'air de mettre en avant des choses pas terribles terribles.

(Bon, cela dit, les oeuvres fantasmées et idéalistes, c'est pas toujours mieux non plus, avec le très classique "non mais la guerre, c'est cool en fait" qu'on retrouve très très souvent dans plein de textes et sans aucun recul)

Enfin, bref, je crois qu'on dérive un peu trop :'D

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Zénodote
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Re: Concepts et vocabulaire anachroniques ou déplacés

Message par Zénodote »

Hello itchane,

(Voui coucou je passe par là de manière très impromptue)

Ton histoire de vocabulaire réaliste de la préhistoire me fait penser à Pourquoi j'ai mangé mon père. A un moment, y a un passage truculent où un pithécanthrope un brin réac (l'oncle Vania) tance un congénère en disant:
"Je lis en toi comme dans... dans un... eh bien, je sais exactement ce que tu as dans le crâne!"

Comme quoi on peut jouer avec ce problème :DD

Mais plus sérieusement, ça m'arrive souvent d'avoir ces préoccupations de vocabulaire, et pas que pour des raisons historiques. Je travaille en ce moment sur une histoire avec des oiseaux comme personnages principaux et ça me force à être un peu inventive - par exemple j'écris des phrases du style "j'aurais pas dû mettre le bec dehors, on se pèle le croupion", ou alors je mesure les distances en battements d'ailes au lieu d'utiliser le système métrique.

D'ailleurs, pour répondre à ta question, je trouve qu'utiliser un système de mesure non métrique est un "cheap win", parce qu'il est généralement facile d'en inventer un (ou d'en utiliser un ancien) et que ça plonge tout de suite le lecteur dans une atmosphère particulière, sans le laisser sur le carreau pour autant.

Après, je ne pense pas qu'il faille pousser trop loin le réalisme, a fortiori quand on s'éloigne dans le temps. S'il est possible de narrer sans anachronisme et en français moderne une histoire se déroulant au XVIIIème siècle, cela devient nettement plus compliqué lorsqu'on recule dans la période médiévale, par exemple. Le moindre mot finit par devenir anachronique (d'ailleurs "mot" désignait à l'origine seulement le langage inarticulé, selon wikipédia).

Par conséquent, de mon point de vue, l'enjeu est plutôt de savoir si tel ou tel mot a été assez utilisé dans la langue courante, s'est assez désolidarisé de son contexte de création, pour pouvoir servir de référence "neutre"... "Stress" par exemple est certes un anglicisme récent, mais peut-être que dans une cinquantaine d'années cela ne choquera plus personne de le voir utilisé dans une fiction se passant à l'époque mérovingienne :thinking:

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itchane
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Re: Concepts et vocabulaire anachroniques ou déplacés

Message par itchane »

Merci pour vos réponses ! : D

Je pense que le degré de cohérence en terme de vocabulaire dépend aussi de ce que l'auteur.ice à envie de faire et de ses trip personnels(comme toujours :laughing: ).

@Rachael me disait que pour son roman La Clairvoyeuse, elle avait banni tous les mots de la langue française postérieurs à l'époque du récit, soit tous ceux postérieurs à 1905 ! :dizzy:
C'est une démarche différente de moi pour la Préhistoire, qui supprimait plutôt les "concepts" et encore différente de toi @Mary, qui a choisit un entre-deux il me semble, c'est à dire faire attention aux choses les plus "grosses" (comme les unités de mesures) et aux notions que le personnage ne peut comprendre car il ne les a encore jamais rencontrées, mais sans forcément t'interdire tout un vocabulaire postérieur à l'époque du récit comme Rach.

Pour l'indulgence ou non sur les récits historiques, j'ai tendance à différencier le fait qu'un récit "se passe à une certaine époque" et qu'il soit "un roman historique". Dans le premier cas, l'époque est plutôt un prétexte pour mettre en scène une histoire et dans le second l'inverse, l'histoire est un prétexte pour présenter et faire connaître une époque. Je ne dis pas que c'est la définition officielle, hein, juste ma façon à moi de marquer une différence en tant que lectrice. Et vous pourrez le deviner, j'ai tendance à être plus indulgente dans le premier cas et beaucoup moins dans le second sur les anachronismes : P

Je ne vais pas m'éterniser sur le débat de la morale et des valeurs dans les récits historiques.
Je citerai simplement le petit écrivain Victor Hugo, qui répondait aux remarques sur le fait que ses récits n'étaient pas toujours d'une justesse historique sans faille : " j'aime mieux croire au roman qu'à l'histoire, parce que je préfère la vérité morale à la vérité historique".
Certaines d'entre vous l'accuseraient-elles de présentisme de fait ? :thinking:
Par ailleurs je rejoins assez @Alice_Lath sur le fait que tenter de ne pas influer sur la morale ou les valeurs d'une époque qui n'est pas la nôtre est une vaine quête, l'influence sera de toute façon là, qu'on le veuille ou non. L'Histoire telle que contée dans la documentation que l'on va lire pour se renseigner est déjà sous influence, alors le récit romancé que l'on en tire ensuite... Ne vaut-il pas mieux chercher à maîtriser cette incursion inéluctable de nos valeurs et lui donner un sens, plutôt que de s'imaginer, à grand tort, être capable de la supprimer et faire plus alors de mal que de bien ? :thinking:
Pour aller plus loin sur le sujet, il faudrait ouvrir un nouveau topic de discussion peut-être ? J'avoue que je n'avais pas pensé à cette notion là du "concept anachronique", je voyais cela plutôt du point de vue purement rédactionnel et stylistique x'D

Mais pour revenir à la conversation générale de départ :

@Zénodote ouiiiii ! J'ai pensé aussi, en créant ce sujet, aux récits dont les personnages n'étaient pas des humains. Là plus encore clairement, il y a tout un équilibre à trouver entre la compréhension globale, la justesse du récit, l'humour qui peut être tiré d'expressions adaptées ou dérivées, et la richesse de narration qui peut être obtenue grâce à un vocabulaire qui s'adapte à la réalité de son narrateur.

J'avais aussi pensé au cas où, en SF, les personnages seraient extra-terrestres. Il y a tellement de vocabulaire et expressions issus de nos cinq sens par exemple, les adapter à un système biologique radicalement différent du nôtre serai aussi d'une gageure et d'une richesse assez folle ^^"

Et je suis assez d'accord pour cette idée de désolidarisation. Clairement "stress" est éliminé dans mon récit car il porte aujourd'hui des connotations modernes trop fortes, mais oui, tout à fait, il est possible que dans 50 ans il passe crème dans les récits historiques ; )

Halycanth
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Re: Concepts et vocabulaire anachroniques ou déplacés

Message par Halycanth »

@itchane c'est une question très intéressante !

En ce qui concerne le récit historique pur, ça ne fait pas partie de ce que j'écris mais j'en ai lu un peu, et c'est vrai que ce genre de détails (qui n'en sont pas) est très important pour l'ambiance d'un texte.
Je pense que, même avec un narrateur externe, à moins de vouloir jouer sur le décalage, il vaut mieux rester le plus proche possible du vocabulaire de l'époque. Dans la mesure où ce vocabulaire est connu, bien sûr, et que la langue n'est pas trop éloignée de la nôtre, mais là ça devient plus compliqué :dizzy:

Par contre, ça me paraît très différent pour des mondes inventés à tendance historique (je me permets d'en parler vu que c'était mentionné dans le premier message). Je pense que tout est possible, selon le degré d'immersion du texte.
Pour ma part, j'ai un peu tout essayé :'D que ce soit d'utiliser le kilomètre, la lieue, le mile, le jour de marche, le jour de navigation ou des unités inventées. J'ai pris l'habitude, à la troisième personne, d'utiliser le kilomètre pour les descriptions et les durées de voyage pour les dialogues ou les réflexions des personnages, et des comparaisons pour les unités plus quotidiennes ("aussi lourd que...", "plus imposant que...", etc.). C'est le plus simple, je pense, surtout si le lecteur a déjà des centaines de noms à retenir, des hiérarchies, des systèmes...
Par contre, à la première personne ça me semble nécessaire d'adapter le vocabulaire au monde, et donc à l'époque qu'il est sensé mimer. Et pour les mondes non réels et non historiques, de toutes façons ils ne parlent pas français alors c'est comme si le récit était traduit, j'imagine qu'on peut faire ce qu'on veut.
Mais le première personne dans un monde inventé c'est tellement difficile dès qu'on veut construire des choses un peu inhabituelles :disappointed: (par exemple des cartes avec six points cardinaux ou une atmosphère qui se densifie en altitude)...

Pour conclure, déjà à chaque auteur sa sensibilité mais surtout à chaque récit sa logique interne, sans oublier de ne pas perdre le public :'D

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itchane
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Re: Concepts et vocabulaire anachroniques ou déplacés

Message par itchane »

Oh ! Je vois ce que tu veux dire @Halycanth, si l'on considère le roman comme une "traduction" pour les lecteur.ices terrien.nes que nous sommes, alors en effet, toutes les adaptations deviennent envisageables dans le vocabulaire, c'est intéressant comme réflexion !

Je suis aussi d'accord que la différence entre point de vue externe et interne peut aussi influencer grandement le choix d'appliquer ou non un vocabulaire plutôt contemporain à l'époque du récit ou plutôt à celle de la lecture : )

Et j'imagine aussi que la première personne dans un monde imaginé très différent du nôtre doit être un sacré défi !
Certains récits de SFFF le relèvent déjà, je pense notamment au fameux La Horde du Contrevent de Damasio par exemple :)

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