Réflexion : la fantaisie à la Tolkien est-elle morte ?

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Nox_Ex_Nihilo
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Re: Réflexion : la fantaisie à la Tolkien est-elle morte ?

Message par Nox_Ex_Nihilo »

Pandasama a écrit : 27 févr. 2021, 15:04 J’vous explique le truc : ce matin en me levant, je suis tombée sur un article parlant d’une série Netflix de fantaisie « à la Game of thrones  ».

Du coup, je me suis posé une question : est-ce que c’est là que se trouve l’avenir de la fantaisie après presque un siècle de domination par notre cher Tolkien ? Parce que ce n’est pas un exemple isolé : le « à la Game of thrones  » semble un argument à la mode pour vendre une œuvre de ce genre.

Donc dans les prochaines années, aura-t-on moins d’elfes qui gambadent gaiement dans les bois et plus d’intrigue mystico-politico-dragonesques ? (Je grossis le trait, hein !)

J.R.R s’est-il fait détrôner par G.R.R ? Faut-il avoir trois prénoms, dont deux, commençant par « R » pour peser dans le game ?

Étrangement, je ne suis pas une grande lectrice de fantaisie, mais j’ai l’impression que ce style a beaucoup changé ces dernières années, dans le sens où on lui impose une forme de réalisme. Je ne dis pas que les récits Tolkien sont totalement absurdes, mais qu’on s’éloigne d’un côté « légende » et « conte » pour s’approcher de quelque chose de plus concret, quotidien...

Bref, vous, qu’en pensez-vous ?
Tous les courants de la littérature ont des tendances assez claires en fonction des époques, et c'est fatalement ce qui correspond le plus à la tendance qui va ressortir. C'est d'ailleurs là-dessus que se basent les maisons d'édition pour savoir ce qu'elles vont le plus mettre en avant : leur but, c'est avant tout de vendre.

Je constate aussi que c'est la fantasy réaliste qui a de plus en plus de visibilité. Pour moi, c'est, de manière générale, parce que cette fantasy est le produit de son époque : nous vivons dans une société où, pour pas mal de gens, il semble de bon ton de ne croire en rien. On essaie de plus en plus de faire croire aux gens que le seul but de l'être humain est de travailler et de consommer. J'en veux pour preuve le fait que la philosophie est généralement perçue comme quelque chose de chiant, élitiste et pompeux, alors que fut un temps, Épicure accueillait dans son jardin les mendiants et les prostituées, considérés comme la lie de la société. Et que la sociologie est vue comme une pseudo-science par beaucoup.

Du coup, ça fait que la plupart des gens comme vous et moi sont dans un certain nihilisme. D'où le fait qu'on met de moins en moins en avant la high fantasy à base d'elfes qui coiffent des poneys, et qu'on met de plus en plus en avant les choses plus réalistes. Et, très malheureusement, c'est selon moi du fait de ce nihilisme ambiant que de plus en plus de gens ne voient que le côté surnaturel de la fantasy à la Tolkien, ne s'intéressent pas au fond et décrètent que ce genre de livres sont destinés aux jeunes et uniquement destinés à leur parler d'eux-mêmes sans aborder de thématiques de société (véridique, c'est un argument que j'ai lu dans un article du Figaro Mag, et qui nous vient de Natacha Polony, même). Je n'ai pas besoin de vous dire que c'est bien évidemment faux.

Pour moi, faire de la Fantasy "à la Witcher" ou "à la GOT", ce n'est pas nécessairement la seule possibilité d'écrire de la Fantasy. En toute honnêteté, il y a une multitude de types de Fantasy différents, et celui-ci n'est qu'un type parmi tant d'autres. De base, l'idée de se calquer sur un modèle, c'est vraiment très peu pour moi. Il y a une raison pour laquelle on parle de "genre littéraire" et pas d'armée de clones : un genre, c'est un ensemble de livres qui ont un certain nombre de similitudes. Si tout est pareil et si l'auteurice a intégralement réutilisé des éléments "Tolkienesques" ou "Martinesques", quel était l'intérêt d'écrire son propre livre à la base ? Je pense qu'idéalement, chaque roman a sa propre pierre à apporter à l'édifice de son genre, qu'elle soit petite ou grande, grise ou noire, et que celle-ci ne devrait pas chercher à ressembler à une autre pierre.

Ah, par contre, dire que Tolkien, ce n'est pas sombre...sans vouloir paraître offensante, je me demande si les personnes qui disent ça ont lu LSDA. Rien que la disparition du Numénor, c'est une allusion au récit du Jardin d'Éden et de la faute qui, quand il est interpreté correctement, nous dit que le mal sur terre vient de l'Homme. C'est pas le sujet le plus joyeux et humaniste qui soit. Pareil pour Isildur qui cède à son orgueil et se laisse entraîner vers la mort par l'Anneau. Les Elfes assistent au déclin progressif du monde vers les ténèbres et la violence, puis s'en vont. Il y a une notion de paradis perdu omniprésente dans la saga, là encore, ce n'est pas vraiment la joie. Bref, mine de rien, c'est assez sombre comme Univers.

Pour Pratchett, je ne m'avancerai pas parce que je n'ai lu que Le Peuple du Tapis de lui et je ne l'ai pas trouvé fou-fou, mais il me semble que le Disque-Monde est justement empreint d'auto-dérision vis-à-vis des poncifs de la SFFF.

Voilà, c'était mon big pavé ^^

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Audrey Lys
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Re: Réflexion : la fantaisie à la Tolkien est-elle morte ?

Message par Audrey Lys »

@Nox_Ex_Nihilo je comprends ton sentiment face aux romans dits "À la GOT". C'est indéniablement à la mode, mais je dirais, même au-delà de la fantasy, que ça touche les fictions en général. On veut des héros, mais des anti-héros, humains, avec leurs doutes et leur faiblesse, qui ne gagnent pas forcément. On ne veut plus de super-héros parfaits et invincibles. Il me semble que notre temps est très pessimiste, qu'on cherche à le changer sans vraiment y croire. Ce "nihilisme" comme tu dis est pour moi lié à une absence de foi en l'avenir, une peur, même. Je pense que ça s'incarne en fiction par le rejet du rêve, puisqu'on n'y croit plus dans notre monde. Eb mode "ça va je suis un adulte je crois plus à ces conneries", on associe le rêve uniquement à l'enfance. Une fois adulte, on doit être triste et amer.

Évidemment qu'un genre est un ensemble d'œuvres diverses et non pas une armée de clone. Néanmoins, force est de constater qu'il y a des grands courants et que beaucoup les suivent. Après, est-ce que la tendance actuel au réalisme froid va continuer de se propager ou s'évanouir comme une mode éphémère ?

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Alice
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Re: Réflexion : la fantaisie à la Tolkien est-elle morte ?

Message par Alice »

Ô le beau sujet... 🌟

Dans les messages précédents, j'ai particulièrement adhéré à l'idée de @Vava-Omete qui souligne que l'estampille "Game of thrones" ou "Seigneur des anneaux" relève d'un marketing inhérent à une époque particulière.
Je rejoins également @Nox_Ex_Nihilo lorsqu'elle parle de cycle dans l'écriture.

Pour prendre un exemple parallèle, voyons le Cycle Arthurien qui, au-delà d'un roman particulier, est devenu un genre littéraire à part entière : le roman de chevalerie. Aujourd'hui, nous connaissons l'histoire des chevaliers de la Table Ronde par le biais des multiples réécritures qui en ont été faite, y compris parodiques (coucou Kaamelot et Sacré Graal) mais au départ, l'histoire était bien différente. Saviez-vous que le Graal était supposé être un plat et non une coupe? :D

Mais où est-ce que je veux en venir avec mes digressions, me direz-vous? Je pense que "Le Seigneur des Anneaux", comme la geste arthurienne d'origine, est un texte fondateur qui a ensuite été repris, réécrit, revisité à de multiples reprises. Il a donné naissance à un genre qui n'a cessé d'évoluer au fil des époques et des écrivains. Et qui va continuer à évoluer et à se transformer.
Dire que la fantaisie à la Tolkien est morte est - pour moi - un non sens. C'est comme dire de la "Poétique" d'Aristote qu'elle n'existe plus. Les textes de Tolkien sont des canons de la littérature fantastique, ils font partie (qu'on aime Tolkien ou pas) de son histoire.
Par ailleurs, la démarche de G.R.R. Martin est-elle si différente de Tolkien dans son écriture? Tolkien s'est inspiré des sagas nordiques, de la mythologie pour constituer sa Terre du Milieu. Martin s'est plongé dans la Guerre des Deux Roses anglaise pour constituer son intrigue politique. Chacun d'entre eux a travaillé sur un matériau plus ancien qu'il a fait évoluer selon sa créativité.

Pour conclure, je dirais que, loin d'être morte, la fantaisie à la Tolkien est devenue un classique <3 Alors oui, selon les sensibilités, un classique qui peut être daté, poussiéreux, difficile à lire mais un incontournable de la littérature fantastique, qui peut aujourd'hui faire l'objet de colloques et de cours universitaires très sérieux, ce qui, dans mon jeune âge n'était pas le cas.

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Nox_Ex_Nihilo
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Re: Réflexion : la fantaisie à la Tolkien est-elle morte ?

Message par Nox_Ex_Nihilo »

Alice a écrit : 01 mai 2021, 13:54
Par ailleurs, la démarche de G.R.R. Martin est-elle si différente de Tolkien dans son écriture? Tolkien s'est inspiré des sagas nordiques, de la mythologie pour constituer sa Terre du Milieu. Martin s'est plongé dans la Guerre des Deux Roses anglaise pour constituer son intrigue politique. Chacun d'entre eux a travaillé sur un matériau plus ancien qu'il a fait évoluer selon sa créativité.
J'irais même jusqu'à dire que c'est le principe de l'écriture depuis la nuit des temps de faire ça. C'est même ainsi que naissent les genres.

Halycanth
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Re: Réflexion : la fantaisie à la Tolkien est-elle morte ?

Message par Halycanth »

Vava-Omete a écrit : 28 févr. 2021, 17:57
Et notamment, on retrouve dans nos préoccupations actuelles, il y a la politique, la liberté, l'écologie, la question du genre etc...
Les voix des auteurs et autrices se font moins porteuses de grande aventure, mais beaucoup plus de sujets de société.
Je pense aussi que les préoccupations du monde réel, de plus en plus préoccupantes, nous invitent à les discuter. S'il suffit d'aller sur un réseau social pour parler politique ou société en général, pourquoi pas dans un livre ? Et pourquoi pas lire ce que d'autres ont à dire ?
A force de voir toute l'horreur du monde à travers un écran tous le jours, peut-être avons-nous besoin de la littérature, et particulièrement la littérature fantasy (ce monde pas si éloigné du notre), pour à la fois concrétiser et mettre à distance tout ça. D'où la disparition des espèces fantastiques pour se focaliser sur l'humain, et le noircissement des intrigues.
Peut-être aussi qu'on a envie de se dire que tous les problèmes du monde sont aussi simples à régler qu'il ne l'est de fermer un livre...

Bien sûr ce ne sont que des hypothèses, je n'y connais pas grand chose en relations sociologie-littérature :'D

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