La religion

[Zig]

Décidément j'aurais dû mettre mon nez sur le forum avant, il y a plein de sujets vraiment très intéressants ! Je vais essayer d'apporter mon avis et des arguments peut-être un peu différents, pour ne pas redire ce qui a souvent été très bien dit plus haut !

Déjà, pour répondre aux religions qui m'intéressent : Toutes, pour peu qu'elles soient présentées par des personnes qui les connaissent, et ne vont ni en faire l'apologie ni les détruire par simple plaisir. Je suis moi-même protestante de formation catholique (ma famille s'est convertie quand j'étais ado), mais je m'intéresse à tout, du point de vue plutôt sociologique. J'aime bien apprendre des choses, découvrir, et je trouve que les religions permettent d'aborder les mêmes choses sous des angles différents, et je trouve ça vraiment enrichissant. On se rend bien compte que, en fonction du culte et des divinités, on ne construit pas notre réception de l'environnement de la même manière. Pour ma part, j'aime bien faire la différence entre religion (une religion avec ses dogmes fixes, et des personnes qui se rassemblent autour d'un même code souvent assez rigide), et spiritualité (où chacun réfléchit d'une manière qui lui est propre au monde qui l'entoure, et se place sous l'égide d'une ou plusieurs déité/entité, sans pour autant se rattacher à une communauté codifiée).
Je m'intéresse également aux sectes (pas en tant que croyante, mais qu'observante), en essayant de comprendre à partir de quel moment on peut dire que telle chose est une religion, et telle autre non.

En littérature, la question de la religion (si elle est abordée d'un point de vue réaliste) est toujours extrêmement délicate dans la réception du lectorat. Je trouve qu'avoir un personnage religieux peut apporter une dimension supplémentaire à la caractérisation du personnage, mais aussi risquer de le faire tomber dans le piège du cliché ou du stéréotype, voire même de la discrimination (une catholique qui s'appelle Marie, est homophobe et coincée, un bouddhiste ultra zen et cool, ou PIRE : un.e juifve riche, ou qui a été dans les camps, etc.).
Dans les romans se situant dans les mondes de l'imaginaire (Fantasy ou autre), je trouve que travailler ses religions apporte - une nouvelle fois - beaucoup de profondeur. Même le choix de n'en avoir aucune est déjà une réflexion qui va apporter quelque chose, et je pense que (surtout en fantasy), c'est un sujet sur lequel il est bien de se pencher. Que la religion soit monothéiste, polythéiste, souple ou dure, bien vue ou mal vue, elle va forcément entraîner des enjeux précieux pour la trame narrative.
Dans l'un de mes romans, c'est une question extrêmement important la religion, et elle divise d'ailleurs beaucoup mes personnages. J'aime bien aussi réfléchir à la différence entre religion personnelle et religion d'état (qu'est-ce qui se passe lorsque l'Etat décide d'imposer une religion ou une philosophie de vie ?).

Je trouve que, sur PA, il y a tout de même pas mal de romans qui abordent la question (plusieurs ont été cités déjà), mais c'est vrai que ce sont plutôt des religions fictives, et je ne crois pas avoir personnellement déjà vu une religion au centre d'un roman réaliste (peut-être le vaudou dans Gumbo street de Alice et les Crayons, mais dans ce cas c'est une version un peu imaginative).

Voilà ! J'espère que j'ai pu apporter quelque chose à la discussion !

[Sabi]

@Zig @Codan C'est vrai que voir la religion dans son impact sur les sociétés est très intéressant.
Pour donner des pistes sur le sujet à ceux que ça intéresserait, je vous recommande très chaudement la série Dune de Frank Herbert. Je trouve qu'il a réussi à faire un travail de réflexion incroyable sur les religions. Comment une religion se crée, son impact sur la société, comment dépasser le phénomène religieux, etc.

[Altin]

En plus de l'excellent exemple de Dune, on peut également citer À la croisée des mondes de Philip Pullman qui met la religion au cœur de son œuvre, même s'il s'agit d'une charge anticléricale en règle.

En dehors de quelques exemples, la religion est un parent pauvre de la littérature fantastique moderne. Dans des mondes toujours plus divers, peuplés d'incroyables créatures et habités par la magie, il semble qu'on ne croise jamais de religions à proprement parler. Même quand des dieux sont évoqués, il s'agit souvent de personnages surpuissants, un genre de super-héros merveilleux, mais rien ou presque n'est mentionné à propos d'un culte ou d'une religion organisée.

À mon sens, l'utilisation de la religion dans un récit permet de se confronter à trois sujets:
- L'organisation d'une société selon des dogmes perçus comme d'ordre divin. Peut-on réformer un ordre moral qui se prétend au-dessus des lois humaines ? Si oui, doit-on le faire dans le cadre religieux, au risque de créer un schisme entre réformistes et conservateurs, ou au contraire imposer un cadre laïc aux règles en société sur le modèle des Lumières occidentales ? Des religions aux croyances différentes mais dont le code social est proche peuvent-elles plus facilement se rapprocher (syncrétisme, œcuménisme) ?
- La relation au sacré. Là on peut vraiment tout imaginer...
- La relation directe à la divinité. Cela va de la foi inébranlable à la remise en question de la pertinence du statut divin, voire à la confrontation. Ce sujet est, je pense, l'un des plus mal traités dans la fantasy; on ne compte plus les livres où un héros mortel acquiert des pouvoirs, objets, alliés (rayer les mentions inutiles) pour aller affronter un antagoniste présenté comme un dieu, alors qu'il n'en possède aucun attribut, sinon une puissance démesurée. Or la caractérisation d'une divinité, c'est d'être l'objet d'un culte; si on ne s'intéresse pas à ce champ, l'aspect divin devient nul. À l'inverse, et malgré tous les défauts qu'on peut trouver à cette série de BD, Lanfeust évoque le sujet avec pertinence, lorsque le héros se retrouve confronté à son alter ego divin créé par le culte qui lui est voué en temps que sauveur du monde.
D'ailleurs, le rêve impossible de l'accès à la divinité rentre aussi dans ce domaine.

Une anecdote personnelle pour finir: je suis d'éducation catholique, non-croyant mais passionné par le fait religieux, notamment artistique, avec ce qu'il a de sublime et de terrible (ah, la Sagrada Familia). Lors d'un séjour au Canada, en me promenant dans Montréal le dimanche de Pâques, j'ai croisé des groupes sur le parvis des églises qui chantaient, s'exclamaient et manifestaient bruyamment leur joie; certains interpellaient les passants, tout sourire, en criant "Le Christ est ressuscité, réjouissez-vous !" Ce qu'on percevrait en France comme un dangereux dérapage prosélyte était largement accepté comme une simple manifestation de la joie de croire. Une notion qui à elle seule pourrait nous faire écrire des pages...