Coucou
Je suis revenue lire ce sujet régulièrement... et je dois dire, avec parfois un peu de perplexité. Il me semble que trop souvent, cette volonté (très positive) de "ne plus discriminer" tourne justement à la mise en cause des récits où une discrimination est décrite dans toutes ses perversités... pour être dénoncée, tout bonnement. Il n'y a pas d'autre moyen.
"La Servante écarlate", c'est une suite de péripéties effrayantes, hautement pénibles. Et une charge magnifique contre le pouvoir masculin allié à une certaine idée religieuse de la "morale".
Alors, pour préciser, j'appartiens moi-même à une "population" qui subit une discrimination dure, une mise à l'écart discrète mais constante. Je parle des "TSA" – je n'utiliserai pas le terme "Asperger" - qui ne fait d'ailleurs officiellement plus partie du lexique médical (DSM 2013) et qu’on ne continue à reprendre que par commodité. Ce monsieur était un médecin nazi, il ne mérite pas que son nom perdure.
Une discrimination d'autant plus forte que beaucoup d'entre nous ne remettent jamais en cause ce qu’on dit sur eux... parce que ce sont fondamentalement des personnes douces et de bonne volonté, cherchant à bien faire. En conséquence, ils l'ont intégrée, ils acceptent de se faire définir "de l'extérieur" (on sait pourtant à quel point cette configuration est mortifère pour d’autres formes de discriminations plus visibles).
J'ai vu bien des fois des personnes TSA complètement perdues face à ce que la société disait d'eux. Essayant même de s’y conformer. Sérieusement, ça me brise le cœur.
Prenons cette histoire de "manque d'empathie" par exemple. Certains TSA croient vraiment que les neurotypiques savent lire les sentiments sur les visages, à la manière d’une espèce de télépathie magique. Certains peut-être... mais pour ce que j’ai observé des interactions entre personnes dites "normales"…
certaines d’entre elles ne se soucient pas le moins du monde de ce que ressent la cible de leur colère, pour peu qu’ils l’aient compris. Pour commencer, ils ont une sacrée tendance à insulter les gens… ce qui est très violent pour ceux qui se retrouvent en position d'agressé. J'en ai vu capables de s'acharner sur quelqu'un qui était déjà en train de pleurer. Ce genre de scène, moi, elle me met terriblement mal à l’aise (et d’ailleurs, j’interviens pour essayer de limiter les dégâts en réconfortant la victime, forcément)… Ou tenter de répondre à une dépression profonde par des recommandations du style "secoue-toi un peu". Mais ce sont eux les empathes ? OK.
Bon, si j'ose en parler ici, c'est parce que la bienveillance qui règne sur PA fait que c'est un des seuls endroits où je ne crains pas trop de m'exprimer. Mais je sais qu'il y a un danger, un schéma classique que j'ai expérimenté bien souvent : généralement, quand je parle de ça, je reçois une flopée de gentillesses, on m'assure que je suis vraiment quelqu'un de bien, etc. Puis les mêmes gens se retirent à une distance prudente, évitant toute interaction avec moi. Dissimulation ou solitude, tous les TSA connaissent.
Bon, le problème, il commence dès la définition médicale (et comme c’est
scientifique, hein, personne ne moufte) : "trouble du spectre autistique". Il s'agit d'une condition différente, pas d'un "trouble". Déjà. Pour ma part, je fais partie de ceux dont toute l'intelligence est focalisée dans des domaines précis. En ce qui me concerne, cela tourne autour de la langue française, de l'analyse sémantique, de la synthèse d'informations (c'est pourquoi je vis à la campagne depuis un bail, il n'était pas vraiment compliqué pour moi de voir comment notre système allait rapidement mal tourner) et de quelques autres broutilles. Hypermnésie, par exemple. Sens de l'observation et du détail. Forcément, lorsque toutes les ressources sont mises au service d'un domaine restreint, ça donne de bons résultats. Et à côté de ça, je suis totalement, définitivement et radicalement dyscalculique.
Bref, ça a commencé dans ma famille, alors que je n'avais que deux ans. C'étaient plutôt des gens cultivés, pourtant, mais à l’époque on ne savait pas faire le diagnostic... "phénomène de foire" (parce que je parlais "trop" bien... puis lisais sans problème à partir de trois ans - et parce que je retenais des quantités d'informations : "je-sais-tout"). À l'école, le fait d'allier des séries de 18 en français à des zéros en maths m'a valu le terme de "fumiste" et autres gentillesses.
Et toute ma vie jusqu'ici s'est déroulée ainsi, infiniment compliquée par le fait que j'étais femme. Et incapable de duplicité. Donc facilement exploitable.
Le diagnostic, trop tardif, a un peu arrangé les choses, quand même. Je me suis sentie moins seule. Et pourtant, à y penser, cette histoire, cet invraisemblable gâchis… je n'ai aucune envie de l'écrire. Ma
différence n'est pas le motif central de mon existence et j'ai mieux à faire que de me crisper sur mes problèmes, de les remâcher
ad vitam æternam. La vie n'est facile pour personne, de toute façon.
Pour en revenir au sujet, la discrimination... cela m'inquiète que la littérature soit le vecteur d'une nouvelle morale. Ce genre de trucs, ça n’a jamais marché.
C'est le regard qui doit changer d'abord, ça c'est une évidence éclatante. Le reste suivra. Mais
l'art mis au service d'une morale sociale, ça donne souvent des œuvres tellement affadies qu'il n'y a plus grand-chose à y trouver. Des auteurs qui se surveillent si férocement qu'ils n'osent plus rien.
Et je le répète, on ne peut pas dénoncer sans décrire, sans mettre en scène. Je ne parle pas là des "sensivity readers" qui cherchent à déminer les stéréotypes grossiers... ça, c'est très utile. Mais de tous ceux qui découvrent le combat et s’y lancent tout de go, avec sans doute les meilleures intentions du monde et qui régulièrement, faute d’avoir longuement mûri le sujet… arrivent à des conclusions contre-productives. Faire disparaître les discriminations dans un contexte où elles devraient exister, par exemple, on a vu des cas jusque dans les romans et les séries. Sans compter qu’ils ont des opinions contradictoires et qu’ils cherchent à les imposer, toujours assez vigoureusement, avec la foi des nouveaux convertis. Ce qui est carrément terrifiant pour les artistes. Parce que quoi qu’on fasse, ce ne sera pas bien.
Et il y a plus bizarre. Je m’explique.
Dans l'histoire que j'écris... les hommes sont vulnérables, tous. En fait, c'est ça, la réalité que je constate depuis toujours. Simple exemple : je ne connais pas beaucoup d'hommes capables de faire la double journée sans se plaindre par exemple, tout en réussissant à protéger ses enfants d’un conjoint toxique ou violent. Configuration hélas trop fréquente de nos jours. Et les femmes assurent souvent de manière impressionnante. Mes personnages masculins ne sont pas cette eau-là mais en revanche, ils sont moins fort psychologiquement que leurs compagnes. D’ailleurs, chez moi, la "damzell in distress" est un homme, la "belle au bois dormant" aussi.
De plus, l’histoire se passe dans un monde futur où le racisme entre humains a disparu (point cohérence : les fondateurs de cette société existent bel et bien aujourd’hui, dans la nôtre, et s’ils sont dangereux dans d'autres domaines... au moins sur celui-là, ils sont propres). Et dans le regard de mes personnages, une peau sombre ou très sombre, c'est juste "élégant" (et moi aussi je trouve que oui, ça l’est… mais c’est un autre débat).
J'ai retourné nombre de propositions discriminatoires, sur ce principe. Même les "méchants" ne sont pas du tout ce qu'ils semblent être. Bref. Et j'ai soigné la cohérence fine, me suis assurée que tout cela fonctionnait au point de vue de la vraisemblance – et effectivement, personne ne m'a dit "je n'y crois pas" (chose que j’imaginais possible, quand même, mais bon).
Je pensais sincèrement que cela allait me valoir quelques remarques intéressantes. Parce que c'était un pivot majeur, dans ma tête. Une disposition complexe à réussir, et sur laquelle en conséquence, j’ai énormément travaillé… Il fallait penser
autrement en permanence, pour tout remettre en question et
montrer que l'inverse de nos pratiques et des croyances admises peut aussi fonctionner, tout naturellement. Que ça n’est qu’une question de choix.
Mais au bout du compte : rien. J’ai eu des quantités de retours… tous portant sur d’autres aspects de l’histoire (et plein de bonnes choses aussi, heureusement, merci)... mais sur celui-là, pas un mot. Et j’avoue que ça me laisse un peu comme deux ronds de flan. Je ne m’y attendais vraiment pas.
Est-ce encore "trop étranger" pour que les gens le remarquent ? À la manière des autochtones d’Amérique du Sud qui n'ont pas compris ce qu'ils voyaient lorsque les vaisseaux des Conquistadors sont arrivés, tellement c'était extrinsèque à leurs représentations ?
Ou alors, est-ce que nous, les "autistes HNF", attachés au détail significatif et à la logique comme autant de messieurs et mesdames Spock, nous sommes vraiment encore des extraterrestres dans ce monde où
certaines personnes dites
normales (non, pas toutes, c'est vrai) semblent constamment ballottées par des passions irrationnelles et des idéologies hautement contestables, desquelles elles passent un temps fou à tenter de se dépêtrer au lieu de dire simplement "Non, sans moi. Bye" ? (mon idée de la raison avec un grand R, oui ^^)
Je n’en sais rien du tout. Mais ce que je sais, c’est que je voudrais en lire, des histoires de ce genre (c’est d’ailleurs pour ça que je l’ai écrite, très classiquement). Et qu’à ma connaissance, il n’y en a pas masse.
Bon week-end et bon courage pour ce fichu confinement qui repart. Certains ont maltraité la nature par cupidité, et voilà où nous en sommes collectivement arrivés. Espérons qu’il est encore temps d’arrêter la machine folle.
Lo