
Je fais partie de ces gens qui dissocient encore "écrire" et "être écrivain.e" (être écrivain.e nécessitant pour moi d'être lu.e). Il me paraît donc plus logique de diviser ma réponse.
J'ai commencé à écrire très jeune, à un moment où lire ne me suffisait plus. J'ai toujours beaucoup lu, lu avec obsession, dans une sorte de... d'instinct de fuite, je dirais. Toute interaction autre que strictement familiale m'était si difficile que le "dehors" me faisait l'effet d'être quelque chose de trop grand et de dangereux. Je ne savais pas comment parler aux gens, je ne comprenais pas leur visage, et je ne parvenais pas à déterminer si j'étais plus étrange que leur étrangeté, à tou.te.s. Je n'avais aucun moyen d'accéder à ce que les gens autour de moi pouvaient avoir de "normal", de rassurant. Très peu de choses faisaient sens (moi y compris).
La lecture, c'était un mode d'emploi. Pour la première fois, j'avais accès à ce que cachait la tête des gens (et qu'importe que "les gens" en question n'aient été que fictifs, je n'étais pas en mesure de faire la différence). Je pouvais suivre leur fil, déterminer précisément leurs motivations, comprendre leurs réactions. Les livres expliquaient le pourquoi des visages, des conventions, la politesse : ils me montraient une sorte d'intimité pleine à laquelle je n'avais pas droit du tout, dans la vraie vie. Je crois vraiment qu'ils ont été le lien me permettant de fuir sans en vouloir aux gens. J'avais beaucoup de mal, beaucoup de colère en moi à l'époque pour tenter de comprendre que les gens du réel ne me refusaient rien et que c'était ma tête, ma tête à moi, qui restait coincée dans la serrure.
Et puis lire n'a ensuite plus suffi du tout, quand j'ai compris. Je me retrouvais soudain avec des choses à exprimer sans connaître le juste biais pour le faire - je me croyais idiote, mais avec la petite pointe d'intelligence en trop, juste suffisante pour m'en rendre compte et en souffrir. Je savais que je m'y prenais mal. Avec les gens, toujours, avec la vie, avec moi. Je ressentais au centuple sans pouvoir le faire comprendre et très honnêtement, mon Dieu, j'en crevais. Les mots avaient pour moi un poids et une saveur magiques quand ils étaient lus, à l'abri, et ils me trahissaient quand je tâchais de les utiliser tous les jours. Dans mes interactions, à l'état de nature, de spontanéité, ils ne valaient plus rien. Ils n'étaient jamais justes, jamais calibrés comme il faut.
J'ai écrit pour tenter de conjuguer mon besoin d'expression, de fuite, de tendresse, et mon incapacité absolue à gérer ne serait-ce qu'un seul de ces trucs. J'ai laissé mon intérieur grandir parce que c'était de loin la chose la plus précieuse que j'avais à m'offrir. J'y ai inventé des gens que j'étais apte à comprendre et que je reconnaissais.
Je ne m'attarderai pas sur la douleur que c'est d'écrire, pour moi (je crois que celleux qui me lisent en ont déjà une idée bien précise, à force

Pour ce qui est du rêve de devenir écrivain.e... Il n'est vraiment né que quand je l'ai laissé naître, il y a moins d'un an. Avant ça, je me cachais la tête dans le sable parce qu'être écrivain.e, ça induit tout un tas de choses avec lesquelles je suis mal à l'aise ou pour lesquelles je ne suis pas prête : assumer un besoin de reconnaissance, une forme d'égoïsme, un goût du risque...
Et puis j'ai commencé à me dire que j'allais un jour devoir faire un choix. Je n'y suis pas encore, pas tout à fait. Mais je sais que d'ici quelques mois, il me faudra définir où je vais et quel avenir je souhaite vraiment bâtir, avec mes histoires. Je ne pourrai pas conjuguer un vrai travail au-dehors, plus conséquent que celui qui me fait vivre actuellement, et l'écriture telle que je la conçois toujours aujourd'hui et contre laquelle je me bats. Je n'aurai pas assez d'énergie pour deux luttes, aussi futiles puissent-elles paraître à plein de gens. Clairement pas.
PA y est pour beaucoup, d'ailleurs. Je ne crois pas que j'aurais laissé cette idée rentrer si certains mots n'avaient pas été là.
