Merci
@EryBlack pour ce sujet si chouette.
Tellement magique de voir toutes ces méthodes de plans.
@Nothe, j'ai adoré ton plan pour Euphrosyne, typiquement ces deux paragraphes donnent envie de passer à la rédaction, ils suggèrent plein de choses, c'est comme des cadeaux encore emballés sous le sapin. Ça va clairement tournicoter dans ma tête jusqu'au jour où j'écrirai mon prochain plan, et m'inspirer du point de vue de la rédaction du plan, parce que le tien est tellement... libre.
@Zlaw, fascinée par ta méthode, qui ne pourrait jamais fonctionner pour moi, mais qui est magnifique d'un point de vue d'assurer la cohérence.
Mi grano de sal :
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J'étais team jardin au soleil jusqu'à ce roman. J'avais fait des micro-plans dans le passé, mais j'adorais découvrir l'intrigue à la rédaction, et je n'en démordais pas... jusqu'à
Verticales de mémoire. Pendant l'écriture, je me suis rendu compte que l'intrigue ne tenait pas, et que c'était trop tard pour remonter la barque. Ça prenait l'eau de partout, et c'était hyper triste, parce que j'ai consacré tant de temps à ce roman.
(Je l'ai fini quand même, et là je le retravaille dans l'espoir de trouver des solutions pour le rafistoler, que l'histoire que je raconte tienne quand même.) Bref. Suite à ce naufrage, j'ai compris que pour raconter des aventures dans des contrées imaginaires, j'allais avoir besoin de documents préparatoires.
--> J'ai commencé par
créer des pays d'un monde, et
identifier des histoires qui pourraient s'y dérouler. Puis, j'ai écrit des scènes à partir des différentes voix qui avaient émergé. J'ai établi leur parcours, noté qui existerait dans chaque tome, et choisi par qui je voulais commencer.
--> Après, j'ai fait la même méthode que Dragonwing, grosso modo : intrigue générale, déconstruction, et une phrase par scène.
Collé tous mes post-its sur le mur, et passé des jours à les changer d'ordre.
--> Une fois que l'ordre semblait correct, j'ai
recopié ma liste de scènes sur l'ordinateur, et j'ai
étoffé pour avoir l'intention, et les graines que je plantais pour la suite. Et en fait, j'ai eu envie de faire lire à cette étape-là, pour m'assurer que tout était : compréhensible, rythmé, cohérent, intéressant. Du coup, j'ai rédigé "correctement" pour que ce soit le plus simple et agréable à lire possible.
--> Les remarques que j'ai reçues m'ont amenée à écrire des tonnes de pages de réflexions dans mon
journal de bord du roman, et à compléter mon
encyclopédie du monde imaginaire. Suite à quoi, munie de plein de nouvelles informations, j'ai fait une liste de tout ce que je voulais modifier, et puis j'ai
corrigé le plan petit à petit.
(Il se trouve qu'il a mystérieusement doublé de volume pendant cette partie du processus, bon.)
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Et enfin, la rédaaaaaaaction. J'avais peur de m'ennuyer, et en fait
pas du tout. J'aime bien l'image de Zlaw sur l'escalade : d'avoir tracé ma route avant ne m'empêche pas maintenant de ressentir l'adrénaline de la montée, et le vent, et le soleil. Et je suis d'accord sur l'aspect confort. J'ai l'impression de pouvoir profiter à fond de ma rédaction pour m'attarder sur les détails, les sensations, pour vivre la scène à travers les yeux de mes personnages, ressentir l'action et me la couler douce. Ne pas être dans le cerveau, mais plus dans une forme de flow en fait.
Et du coup, je repartage ici le plan du premier chapitre de
La Traversée des Funambules :
1. D / L'expulsion
-> Où Diane reçoit une notice de démigration, cherche un emploi au port, et se fait expulser.
◊ Ça fait longtemps que Diane ne peut plus piffrer son patron, un arrogant capitalin qui passe son temps à l’humilier, mais ce n’est pas pour ça qu’aujourd’hui elle manque à tous ses devoirs de réceptionniste exemplaire. C’est à cause de la lettre qu’elle a trouvé dans la boîte aux lettres ce matin, et qu’elle n’a pas besoin d’ouvrir pour en connaître le contenu : ça fait des années qu’elle redoute son arrivée. Le seuil du gouvernement apparaît nettement sur le coin gauche. Son permis de séjour est arrivé à expiration, et si elle veut rester, elle devra prouver que personne d’autre qu’elle ne peut y faire son travail. Autant dire qu’elle peut commencer à préparer ses valises.
◊ Comme chaque jour après le travail, Diane part sillonner le port à la recherche d’un poste. Elle connaît tous les capitaines, matelots et douaniers, tous les troquets, marchands et voleurs. Certains la traitent avec pitié, d’autres avec une forme d’admiration pour sa ténacité sans faille. Les arts marins s’enseignent en famille, ou en guilde, et Diane aurait dû l’apprendre de son père, mais il est parti explorer le monde sans le reste de sa famille, et il ne lui a appris avant l’absence que trois noeuds et six vents. Personne n’a le temps de la former, elle n’a pas d’argent pour payer quelqu’un pour le faire, et elle ne peut pas embarquer tant qu’elle n’aura pas les compétences de matelot. Elle essaye donc depuis des années de se faire embaucher par un commissionnaire. Les expéditions sont en général de marchands (elle n’a jamais rien compris aux chiffres, et c’est une caste fermée) ou de militaires et ambassadeurs (une élite qui lui a ri au nez immédiatement). Elle a tenté de se faire recruter, est allée toquer à toutes les ambassades, les ministères, a interrompu des dîners de gens importants, et a même fait une scène qui se raconte encore dans un restaurant prestigieux. N’a jamais rien obtenu d’autre qu’une menace de se faire renvoyer dans son patelin illico si elle ne se tenait pas à carreau. Aucun moyen de briller, mais pas le droit de rester si elle ne se distingue pas. Coincée. Impuissante. Perdante.
◊ En arrivant au port, elle passe devant un artiste aquatique entouré d’une foule : comme c’est une période de sécheresse, ils ont la cote. Diane se demande : est-ce qu’ils ne seraient pas plus utiles dans les champs qu’ils pourraient irriguer ?
◊ Elle voit également des étals, dont un d’objets à l’effigie de dragons. Elle lève les yeux au ciel : l’hypocrisie de ces foules qui célèbrent la victoire dans la guerre contre les dragons, font mine de vénérer la Couronne, mais en cachette remplissent leur maison de décorations en écailles. Les dragons n’ont jamais rien apporté de bon. La Couronne a beau avoir du mauvais, elle a apporté la paix.
◊ Diane parcourt les cafés avec l’espoir de trouver l’équipage du navire Les Funambules. Le capitaine Oren lui avait dit de venir la voir si elle avait besoin d’aide urgente. Elle demande à plusieurs serveurs, et obtient confirmation qu’ils ne sont pas encore rentrés de leur dernière expédition, même si personne ne s’accorde sur où ils sont ou ce qu’ils font. Diane adore comme ils sont discrets, insaisissables, comme à la fois tout le monde les connaît et les apprécie, mais en même temps personne n’est ami avec eux : ils maintiennent une distance, ne font pas la fête au port, passent presque tout leur temps sur le navire. Ils sont comme des spectres, des gens qui n’existent pas tout à fait. Et Oren est un des rares capitaines qui n’a jamais fait de sous-entendu graveleux lorsqu’elle l’a supplié de la laisser embarquer.
◊ Pendant cette tournée du port, elle tient sa lettre gouvernementale à la main, comme une sentence de mort. Certains se détournent, gênés, c’est comme avoir la lèpre, d’autres expriment leurs condoléances et proposent de lui payer un coup. Quelqu’un, enfin, lui parle d’un entretien d’embauche à l’Académie : elle n’est pas académicienne, elle, justement ? Elle dit que oui, même si ce n’est pas tout à fait vrai, car elle a suivi le cursus mais n’a pas obtenu son diplôme. (Est-ce qu’elle a suivi la formation mais n’a pas le diplôme ? Parce qu’il faut travailler sa spécialité, et qu’elle ne pouvait pas révéler qu’elle était myfyr sans se recenser auprès du gouvernement, et donc dénoncer indirectement sa mère et sa grand-mère.)
◊ Avant que les bureaux ne ferment, Diane se rend dans l’Ancienne Base, où d’immenses bâtiments militaires ont été reconvertis en centres administratifs. Au centre du complexe, un temple gigantesque, le Centre des Tributs, reçoit les taxes, à droite des habitants de la capitale Arroyos, et à gauche des provinciaux. Diane, elle, continue jusqu’à l’Office de Migration, où tout le monde dans la longue file d’attente tient la même enveloppe qu’elle. Pour résider à Arroyos, la capitale d’Ilyn, il n’y a que deux façons : payer une taxe de séjour exorbitante, que seuls les nobles et les escrocs peuvent se permettre, ou faire partie des Exempts, les travailleurs dispensés de tout impôt à condition de se rendre indispensables au bon fonctionnement de la ville. Ce statut est révisé chaque année, et peut être renversé sans justification ni préavis.
◊ Lorsque c’est enfin son tour, Diane parle de l’entretien d’embauche à l’Académie, où elle a de très bonnes chances d’obtenir un travail exceptionnel. L’employée répond qu’elle pourra faire appel si elle l’obtient. Pour le moment, l’expulsion est validée. Elle a une semaine pour quitter la ville. Si elle n’obéit pas, elle sera mise sous fer, démigrée chez elle, et ne pourra plus jamais revenir dans la capitale, hormis pour payer sa taxe marnée une fois par an.