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Gérer le bizarre

Posté : 04 mars 2021, 19:13
par HarleyAWarren
Hello !

Je suis en train de faire l'outline d'un de mes projets et, comme un peu souvent, je me retrouve face à ce dilemme : mon protagoniste est (encore) bizarre et je ne sais pas trop comment amener/gérer ça dans le récit. Il a ses délires bizarres de gars bizarre, qui sont tout à fait voulu à la base, le personnage est pensé comme ça. Mais du coup, je me demande comment amener ce fait sans dire explicitement qu'il a juste des idées et des comportements... un peu à lui, dirons-nous et sans non plus que la seule réfléxion que se fassent les lecteurices soit : "Ah mais, ça, ça marche pas dans le récit, personne de normal ne ferait/penserait/ressentirait ça en fait".

J'ai déjà écrit quelques récits de cette trempe, avec des personnages qui n'ont pas forcément des réactions ou des façons de voir le monde très "normales" ni très logiques, et à chaque fois, j'ai un ou plusieurs lecteurices qui vont partir du principe que c'est une erreur, que j'aurais plutôt dû faire telle ou telle chose parce que c'est comme ça qu'auraient réagi la plupart des gens, que personne ne fait ça dans la vraie vie, etc... bref, tout un tas de remarques qui montrent que le fait que le personnage est un peu étrange soit voulu n'est finalement pas évident du tout pour les lecteurices. Souvent, les commentaires reflètent le fait que ça ressort comme une erreur de ma part, que j'ai écrit, par exemple, un personnage super content de s'être fait agresser dans la rue parce que je ne savais pas qu'on était censé être choqué ou appeuré dans une telle situation plutôt que parce que ça fait partie de la bizarrerie du personnage et que ça amène des choses dans le récit. Et autant, parfois, l'expliquer un peu est possible autant, des fois, c'est juste... baaaah, que le personnage est chelou, quoi et qu'iel n'a pas de raisonnement qui l'ont conduit à avoir cette idée ou ce comportement. :'D

Bref, est-ce que vous vous êtes déjà retrouvé.e.s confronté.e.s à ce cas-là et comment vous le gérez/géreriez ?

Re: Gérer le bizarre

Posté : 04 mars 2021, 19:23
par Gobbolino
Alors, c'est une vaste question, et une question où, je le suspecte, il n'y a particulièrement de bonne ou de mauvaise réponse, mais un dosage à apporter et que ça dépend beaucoup et que sans lire ton texte ça va être dur de statuer ^^.

On peut croiser plusieurs choses, en fonction de ta narration. Ton narrateur est-il interne ? Omniscient ? Je pense qu'on peut peut-être croiser les points de vue, avec, déjà, ton protagoniste qui "montre" qu'il est logique pour lui d'être content quand on a été agressé dans la rue. Dans l'idéal, il faudrait pousser le lecteur à suivre la réaction de la personne. Du genre : "Quoi ? Ils veulent me voler mon téléphone ? P... les cons ! La ceinture noire et le kimono de judo ne les ont pas alertés ? Bon, bah on va rigoler un bon coup, mais pas trop fort pour pas finir en taule. Ca va faire une histoire rigolote à raconter aux copains au bar, ça !"
=> Dans ce cas, très simplifié, on chemine de la surprise du protagoniste à la raison pour laquelle l'arroseur va se faire arroser et donc on comprend sa manière de raisonner. Je pense donc que si tu arrives à montrer pourquoi ton protagoniste réagit ainsi, le lecteur a de bonnes chances de le suivre.

Re: Gérer le bizarre

Posté : 04 mars 2021, 19:48
par HarleyAWarren
Dans ce cas précis-là, le narrateur est en focalisation interne, donc on aura quand même une idée du cheminement de pensée du personnage. En fait, l'idée, plus que les lecteurices comprennent vraiment la logique du personnage, c'est qu'il se dise "Ah ouais, toi, t'es un peu chtarb' quand même" mais tout en étant conscient.e.s que c'est une volonté de ma part et pas une erreur (je sais pas si je suis très claire xD).

Parce que c'est le cas de figure auquel je suis confrontée le plus souvent : les lecteurices ne comprennent pas la logique du personnage et vont croire à une incohérence ou à une "mauvaise" scène quelque chose de mal écrit parce que trop "bizarre" justement, trop en décalage avec ce que ferait une personne sensée. Du coup, mon interrogation c'est plus "comment faire pour que ça se voie que c'est volontaire sans non plus dire "Machin était un gars franchement chelou, pour ne pas dire un gros tordu" ?".

Pour donner un exemple, il y a une scène dans l'histoire où Protagoniste a reçu une lettre d'amour d'un gars qu'il fréquente (appelons-le Roger), mais pas dans une relation sérieuse, juste "pour s'amuser". Personnage Secondaire (appelons-le Bob) lit la lettre de Roger et s'en moque parce qu'elle est hyper maladroite. Et pour montrer à Bob que lui aussi s'en fout, Protagoniste brûle la lettre et ils passent à autre chose. Une fois Bob parti, Protagoniste regarde les petits morceaux qui restent de la lettre brûlée, les choppe et tout en continuant à faire ce qu'il faisait à côté, les mange. Et d'un côté j'ai pas envie de donner l'explication explicite du pourquoi il fait ça (d'une part parce que lui non plus ne sait pas trop), de l'autre, je me dis
que c'est typiquement le genre de scène où on va se dire "euh, what ?".

Ou même ne serait-ce que dans la logique de Protagoniste pour apprécier Roger qui est dans les grandes lignes : "Il a fait la guerre, et la guerre, c'est vraiment super cool" qui est juste son idée bizarre à lui mais que j'ai un peu peur que les lecteurices voient un peu comme une glorification de la guerre, parce que c'est jamais vraiment remis en question : Roger, d'un bout à l'autre, il est cool. Il est viril et il est plein de cicatrices trop cool parce qu'il a fait la guerre comme un vrai mec cool. Et j'ai toujours un peu de mal à doser entre "juste laisser comme ça et prier fort que les lecteurs captent rien de travers" et "dire explicitement "non non mais c'est juste Protagoniste qui a des idées à la con tkt"" :'D

En fait, je me rends compte que c'est plus une question de "comment vous dosez l'implicite et l'explicite, surtout quand c'est exacerbé par des persos bizarres ?"

Edit ninja : J'ai trouvé ce lien très intéressant (même si ce n'est qu'une présentation d'un colloque), parce qu'il illustre pas mal ce que je cherche à illustrer mais un cran en dessous (le personnage bizarre n'étant à mon sens pas complètement fou non plus, mais plutôt à la frontière des deux). Les exemples mentionnées sont aussi pas mal intéressants, ce sont des livres qui font très bien ce que je voudrait mettre en place.

Re: Gérer le bizarre

Posté : 04 mars 2021, 21:44
par Vava-Omete
Mmmmmh
Vaste problème en effet @_@


A vrai dire, en lisant ton problème, j'ai plusieurs trucs qui me sont venus en tête :
Te dire d'aller lire "Ceci est l'histoire de Sam Cooper" et "Kiwi Ex Machina" sur PA, parce que dans les deux histoires y'a des personnages bizarres dont les bizarreries sont super bien gérées. Notamment Sam Cooper qui est en mode love love sur un militaire justement parce qu'il est viril, plein de cicatrice, et a fait la guerre comme un mec trop cool (et le dit militaire a envie de le baffer toutes les deux minutes xD)
Peut-être que tu trouveras des éléments de réponse là dedans ?

En seconde, je me suis dis : est-ce que tu peux "normaliser" son "anormalité" ? XD
Comme on est en narration interne, est-ce que tu peux ajouter des petites indications de chemin de pensé qui font que si si lecteur et lectrice, c'est normal ? Par exemple quand il mange les petits papiers brûlés, que ça donne un truc du genre "et je les avalais un à un. C'était la chose à faire" ou "je finis de ranger tout en mangeant les papiers : tout rentrait dans l'ordre" ?
Ou quand il est en mode love love sur le militaire, glisser une ligne comme quoi c'était comme dans ses fantasmes mis en réalité, un mec viril trop cool, du coup on comprend que c'est lui qui se fait des films ? Idem sur sa réaction face à une agression : "ouiiii je me suis fais taper, machin va devoir s'occuper de moi <3 "

Ou alors faire sentir à la narration que la normalité interne du personnage est considérée comme bizarre par son entourage, avec des indications de réactions des autres protagonistes et le personnage principal qui capte pas pourquoi on le trouve chelou ? Ca amènerait peut-être ton lectorat à s'identifier justement à l'entourage et à accepter simplement les bizarres de protagoniste comme étant des bizarrerie ?

@_@ mes excuses si c'est confus XD

Re: Gérer le bizarre

Posté : 04 mars 2021, 22:20
par Gobbolino
Bah écoute, si c'est bizarre même pour le protagoniste, je pense pas que le lecteur va se dire que c'est une erreur de ta part. Si c'est du niveau de manger des morceaux de papier, quand même, on va effectivement se dire que oui, toi mon grand, t'es bien atteint, quand même XD.

Je suis assez d'accord avec @Vava-Omete : si le bizarre est normal pour le personnage, mieux vaut le montrer dans son cheminement de pensée, sinon possiblement le rendre explicite. Par exemple ajouter des "lui même ne savait pas se l'expliquer," ou "Il s'arrêta en se demandant ce qu'il venait de faire et pourquoi il venait de le faire," ce genre de petite chose pour montrer que oui, tout est sous contrôle. Je dirais que le tout est de devancer les questions de ton lectorat pour leur dire "Oui, oui, je sais, tu sais, il sait, nous savons (de Marseilles) : il est un peu pas net"

Re: Gérer le bizarre

Posté : 04 mars 2021, 22:42
par HarleyAWarren
Vava-Omete a écrit : 04 mars 2021, 21:44
@_@ mes excuses si c'est confus XD
Pas du tout, ça m'est très utile. J'irai jeter un coup d'œil aux textes que tu as cité.

Effectivement, le personnage qui lui fait le trouve bizarre, c'est quelque chose qui arrive dans le récit. En fait, il y en a même deux, si je réfléchis. Bon, il y en a un qui est une sale tête de con et l'autre qui doit être à peu près aussi étrange que le protagoniste mais c'est déjà ça de pris haha

En tout cas, merci à vous deux, ça me fait déjà pas mal de pistes :D

Re: Gérer le bizarre

Posté : 04 mars 2021, 23:23
par itchane
Hello Harley !

J'avoue être en décalage avec certains conseils cités au dessus. J'aime beaucoup l'étrange et le zarb et je trouve que cela marche merveilleusement quand, justement, l'auteur n'essaye SURTOUT PAS de l'expliquer, de le justifier ou de s'en excuser en mode "lui-même ne savait pas..."
Plus le personnage est au premier degrés, sans explication ou justification, plus je le trouve étrangement dérangeant et, de fait, magnifique.

Je rejoins les idées de dosage par contre, est-ce que ton personnage est spécial seulement dans des cas précis et importants ou un peu tout le temps ? Peut-être (c'est une supposition, car je n'ai pas lu ton texte) que c'est un manque de "cohérence de bizarrerie" qui donne le sentiment que c'est une erreur de l'autrice ?

J'avais un prof à l'école qui nous disait "plus c'est fantaisiste, plus ça doit être rigoureux".

Ce n'est pas forcement dans les plus grands instants qu'un personnage peut être introduit comme chelou, peut-être que c'est dans son choix de mettre du sel plutôt que du sucre dans son café dans une scène d'introduction banale, ou de commencer ses livres en lisant toujours en premier la page centrale dans une librairie... et alors quand il se met, plusieurs chapitres plus loin, à manger des morceaux de papier, il n'y a pas besoin d'explication ni de cheminement de pensées à montrer, car on sait déjà qu'il faut le prendre comme il est. Pour faire comprendre tes intentions vis-à-vis de ton personnage, cela me semblerait une meilleure piste de distiller ainsi ce qu'il est tout au long du récit que de chercher à te justifier en des instant-T, enfin il me semble :thinking:

Je ne connais pas ton texte, encore une fois, mais mon instinct me fait supposer que si tes éléments bizarres sont perçus comme des erreurs, c'est plutôt que la bizarrerie n'a peut-être pas été assez bien installée dans l'ensemble du récit et serait perçue, de fait, comme un cheveux sur la soupe lorsqu'elle se présente ?

Je ne sais pas si cela fait écho en toi ou pas comme remarque, c'est toujours délicat les conseils en aveugle sans avoir lu ^^"
Mais je maintiens que, de façon général, il ne me semble vraiment pas idéal de chercher à rationnaliser la bizarrerie d'un personnage :thinking:
Cela me semblerait même carrément dommage :screaming:

Re: Gérer le bizarre

Posté : 05 mars 2021, 06:54
par HarleyAWarren
@itchane C'est justement ce que j'essaie de faire la plupart du temps. Je suis comme toi, je trouve ça dommage de rationaliser la bizarrerie d'un personnage. Mais du coup, je pense que comme tu as dit, je vais disséminer un peu plus d'exemples au fil du récit, pour que ça n'arrive pas "comme un cheveu sur la soupe", c'est peut-être effectivement ça qui coince. Cela dit, en regardant mon outline et en voyant ce que donne le personnage à la fin, je ne pense pas que ça sera très difficile :D

Re: Gérer le bizarre

Posté : 05 mars 2021, 19:09
par FabrysBesson
Hello !

J'avoue que le sujet qui viserait à comparer la bizarrerie d'un personnage avec une erreur de l'auteur(e) me parle peu.
Mes personnages sont tous fous ou bizarres, voire l'inverse réciproque par la tangente à droite.

A mon sens, vivre le personnage permet de rendre crédible ses traits de caractères.
Cela dit, il est important de ne pas laisser son lectorat sur le bord du chemin.

Pour comparer avec de la musique : "Jimmy Hendrix était un guitariste génial".
Je l'ai trouvé impossible à suivre dans les moments où il partait en son for intérieur profond des abysses de lui-même, tout en bas.
Je dois avouer avoir préservé mon intégrité de tout danger. J'étais désintéressé par l'ingestion de substances qui contribuèrent à raccourcir la vie dudit génie de la corde.
D'autres comprennent et certains détestent.

Tu auras forcément trois réactions face à ton écrit : la personne qui adhère d'emblée, celle qui sera hermétique et celle qui aura besoin de se faire une opinion avant de basculer dans l'une des deux autres catégories.
Je pense que la bizarrerie se raconte autant qu'elle se laisse deviner ou qu'elle doit surprendre.
A mon avis, cela passe par le fait de poser ta bizarrerie dès les premières lignes ou d'amener l'introduction vers cette bizarrerie.

Si tu commences par :
John Mitchell Jr. siégeait seul dans sa cuisine.
Les deux bras posés sur la table en formica, il visait le mur face à lui. La photo encadrée de sa grand-mère jugeait la qualité de son repas. Un bol de confettis à la sauce bolognaise n'en finissait plus de refroidir devant son nez.

Tu nous plonges tout de suite dans quelque chose de décalé.

Nan, parce que les confettis à la bolognaise, c'est franchement pas bon.

Re: Gérer le bizarre

Posté : 05 mars 2021, 20:18
par Fannie
FabrysBesson a écrit : 05 mars 2021, 19:09 Nan, parce que les confettis à la bolognaise, c'est franchement pas bon.
Tu as goûté ? :smile:
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