Salut !!
Je viens de lire tout ce topic qui m’intéressait déjà énormément par son appellation, et dont chaque intervention de Plume m’a fait beaucoup réfléchir. Je me risque à vous partager mon avis sur certaines choses qui ont été évoquées, c'est la première fois que je m'exprime sur une discussion littéraire du forum, j'espère ne pas dire de maladresses dans ce qui suit > <"
Tout d’abord, j’aimerais contester l’idée selon laquelle on pourrait sans aucun problème écrire sans se poser de questions (quand le texte est destiné à être lu, j’entends), parce que de toute façon le but serait de faire s’évader lo lecteurice et pas de lui parler du monde et des problèmes qu’iel connaît et/ou vit au quotidien. Pour moi, tout récit implique un.e lecteurice, il est donc forcément porteur de sens, et donc d’un message (je rejoins complètement
@Eresia sur ce point), même quand c’est de la fiction. En fait j’ai presque envie de dire que c’est encore plus important quand il s’agit d’un récit fictif. Parce que justement dans ce cas précis le lien entre le récit et la réalité ne va pas de soi, ni pour l’auteurice, ni pour lo lecteurice (c’est donc fourbe, si je puis dire). Or ce lien est là, qu’on le veuille ou non.
Pour moi la fiction est forcément un reflet de la réalité (ou en tout cas de la réalité telle que la perçoit l’auteurice, ou bien telle qu’iel veut la dépeindre), et je crois qu’il est absolument essentiel d’en prendre conscience si on a un tant soit peu le désir d’améliorer notre société.
Je sais que le mot « militant.e » ou « engagé.e » peut faire peur (et pour être honnête ça m’intimide aussi beaucoup et je n’oserais pas me désigner comme telle), mais il faut se dire qu’aspirer à un monde meilleur (où par exemple des personnes n’auraient pas à souffrir dans l’indifférence générale) et faire son possible pour changer les choses à son échelle, c’est déjà être engagé.e finalement.
Pour ce qui est du message que porte forcément un récit, je voudrais préciser
ce n’est pas forcément une idée qui pourrait se résumer en une phrase (genre « le racisme c’est pas bien » ou « aimez-vous les uns les autres »). Ce serait plutôt un ensemble de valeurs, d’acquis sociaux, d’expériences, de préjugés. C’est ce qui nous constitue en tant qu’individu finalement. Et donc oui : c’est vaste, c’est profond, c’est étourdissant, mais c’est aussi accessible. Ce sont des choses que l’on partage inévitablement à autrui (de façon intentionnelle ou non) quand on parle, quand on agit, et surtout, surtout, quand on écrit, quand on créé quelque chose qui va dire quelque chose. Qui va montrer.
Même si on veut d’abord raconter le déroulement histoire, ou même simplement transmettre des émotions (moi aussi c’est ce qui me pousse à écrire @Isapass !), le message est là, la représentation est là. Si on part de ce principe, je crois qu’il est bon de choisir d’en prendre conscience et de maîtriser cette représentation pour qu’elle soit la plus cohérente possible avec nos convictions, et non seulement le fruit de nos réflexes conditionnés.
Je sais bien que prendre conscience des choses, c’est bien joli, mais ça ne suffit pas forcément. Certaines plumes ont évoqué la peur de mal faire. Je crois que c’est un sentiment que tout le monde a déjà éprouvé à un moment donné de son existence. Pour ce qui est de la représentation, j’en discutais justement avec
@Mary il n’y a pas si longtemps et ce qui m’est venu à l’esprit, c’est que le simple fait d’avoir ce souci était déjà un énorme pas en avant. Je crois aussi que la peur ne doit pas nous réduire à la passivité.
Si on n’a peur de dire des bêtises en parlant de telle ou telle minorité parce qu’on n’en fait pas partie, rien n’empêche de s’informer auprès des intéressé.e.s.
Si on ne se sent vraiment pas légitime à aborder tel sujet qui ne nous touche pas personnellement, on peut toujours travailler discrètement à déconstruire l’hégémonie du masculin, ça concerne tout le monde et il y a encore du boulot.
Si on a peur que toutes ces questions restreignent son inspiration, son imagination, alors on peut quand même se poser des questions après-coup sur ce qu’on a écrit. La relecture et la remise en question font partie intégrante du travail d’écrivain.e, non ? Je crois que de la même manière qu’on fait naturellement appel à un œil extérieur pour améliorer le rythme de l'histoire, son intrigue, même simplement la syntaxe ou l'orthographe, et bien de la même manière on peut s'aider d'un œil extérieur pour éviter le plus possible la consolidation implicite des inégalités de la société, les stéréotypes blessants ou encore l'invisibilisation des minorités.
Malgré tout, je pense que la meilleure façon reste de se questionner au préalable. Parce que le but n’est pas simplement de satisfaire le lectorat, de se plier à des exigences éthiques. Ça ne donnerait que des œuvres insipides et superficielles comme certaines Plumes ont pu l’évoquer. Pour moi le meilleur moyen de faire les choses bien, c’est d’abord de nous rendre compte de notre propre conditionnement et ensuite d’agir en conséquence.
Je peux prendre mon propre cas en exemple.
J’ai commencé à écrire en Seconde, j’avais seize et ayant grandi dans un milieu catholique et passé toute ma scolarité dans des établissements privés je ne connaissais rien au féminisme, rien à la diversité de genre et de sexualités, rien à la théorie littéraire et je ne voulais pas entendre parler d’engagement parce que je n’aimais pas la politique (ou l’idée que je m’en faisais alors en tout cas). Je voulais juste écrire une histoire que j’aimerais lire. Résultat : mon bouquin était bourré à craquer de clichés involontaires, la plupart inoffensifs, certains plus sérieux (notamment en ce qui concernait les relations amoureuses : genre un syndrome de Stockholm et puis aussi une fille qui finit en couple avec un mec qui l’a agressée physiquement et moralement par le passé : deux situations intéressantes d’un point de vue psychologique, mais qui était présentée comme parfaitement normale, parce que je ne me rendais pas compte que ce n’était absolument pas sain. Mais on reproduit ce qu’on voit dans les films et les dessins animés, que voulez-vous ?). Et je ne parle pas de la répartition des genres : tous les personnages au pouvoir étaient masculins sauf trois : une reine très jeune, très belle et très intelligente / une naine habillée en cuir et armée d’une grosse hâche / la femme d’un roi qu’on ne voyait que pour une scène d’adieux avant le départ en guerre du mari… Yaaaay… Et pour la représentation des sexualités, on repassera aussi : hello hétérosexualité universelle haha. Et pourtant il y a BEAUCOUP de personnages dans cette histoire. C’était un choc de me rendre compte de ça trois ans plus tard (entre temps j’avais un peu ouvert les yeux sur le monde) quand j’ai décidé de réécrire ce roman. Un choc douloureux mais très bénéfique, parce que j’ai choisi de réparer ce qui n’allait pas, de donner des explications là où elles manquaient cruellement, etc… Le livre a beaucoup de défauts, mais au moins il s’est un peu amélioré en termes de représentations. Maintenant quand j’écris, j’essaye de m’interroger le plus possible, de remettre mes acquis en question, comme je fais pour la vraie vie avec les vraies personnes et la vraie société en fait.
Je crois sincèrement que par petites touches invisibles, on pourra changer les choses.
A l’inverse, ne rien faire, bah pour moi ça veut dire perpétrer sans le vouloir les biais terribles que la société nous inculque.